La vingtième édition des championnats du monde en salle se déroule du 21 au 23 mars 2025 à Nankin. Reportée à trois reprises en 2020, puis en 2021 et en 2023 en raison de la réglementation chinoise relative à la pandémie de COVID-19, cette compétition peut donc enfin se disputer au Nankin Olympic Park, dans la salle appelée « The Cube ».
La commission de sélection de Swiss Athletics a nommé douze athlètes pour ces Mondiaux. L’équipe suisse est emmenée par les cinq médaillés aux récents Européens indoor à Apeldoorn : les deux championnes d’Europe Ditaji Kambundji et Angelica Moser, ainsi que les trois médaillés d’argent Simon Ehammer, Mujinga Kambundji et Annik Kälin. Après avoir concouru à l’heptathlon aux Pays-Bas, Ehammer participe en Chine au saut en longueur. Quant à Kälin, qui a établi à Apeldoorn un fantastique record suisse en salle du saut en longueur avec 6,90 m, elle prend part à nouveau à cette discipline (plutôt qu’au pentathlon, comme initialement prévu). La Grisonne, qui n’avait plus été alignée sur un pentathlon indoor depuis quatre ans, ne se sent pas totalement prête à soumettre son corps pour une telle compétition. Elle ne veut prendre aucun risque et on la comprend facilement. Avec un nombre de deux athlètes par discipline, Swiss Athletics doit également faire face à un problème de riche au 800 m féminin. En effet dans cette discipline, il fallait choisir entre Audrey Werro, Rachel Pellaud et Lore Hoffmann. C’est finalement la Valaisanne qui a dû faire les frais de l’affaire.
Avant de débuter cette vingtième édition des championnats du monde en salle, le bilan de l’athlétisme suisse est de 11 médailles (4-3-4) et de 27 top-8. Cette édition met aussi à l’honneur le plus capé des 71 athlètes helvétiques sélectionnés depuis les Jeux Mondiaux en salle en 1985 : il s’agit de Jason Joseph (LC Therwil) avec ses quatre sélections en 2018, 2022, 2024 et 2025. Il devance six de ses compatriotes avec trois participations : Sieglinde Cadusch (TV Unterstrass), Ivan Bitzi (LV Horw), Simon Ehammer (TV Teufen), Mujinga Kambundji (ST Bern), Angelica Moser (LC Zürich) et Géraldine Frey (LK Zug).
Une première journée relativement favorable aux Suisses
Vendredi 21 mars, cinq athlètes suisses entrent en lice sur la piste bleue multicolore du Cube de Nankin. Décalage horaire oblige, la session de ce vendredi matin tombe en pleine nuit chez nous en Suisse, ce qui n’est guère favorable pour suivre efficacement les prestations de nos compatriotes. Tout commence avec les séries du 400 m des hommes où Lionel Spitz (Adliswil Track Team) est en lice dans la quatrième série. Après un bon départ, le Zurichois se retrouve bien placé en deuxième position à l’entame du second tour. Malgré une préparation loin d’être optimale (perturbée par une blessure à un ischio), Spitz réussit à trouver les forces nécessaires pour conserver son rang et pour se qualifier brillamment pour les demi-finales en 46″79.
Toujours très attendues par le public suisse – et romand en particulier – les séries du 800 m permettent de voir à l’oeuvre Audrey Werro (CA Belfaux) et Rachel Pellaud (FSG Bassecourt). Dans la deuxième course, la Fribourgeoise tente de contrôler au maximum les faits de course. Et effectivement, comme il y a deux semaines à Apeldoorn, ça s’est beaucoup chicoté entre les coureuses. Heureusement, l’expérience vécue aux Pays-Bas a permis à la jeune Belfagienne de parfaitement gérer les différentes bousculades. Très calme, elle termine au deuxième rang en 2’04″91 pour s’assurer une place pour les demi-finales de samedi. Dans la quatrième et ultime course, Rachel Pellaud espère évidemment en faire de même. Pour cela elle prend les devants, ce qui lui permet de contrôler les événements. Hélas Rachel n’a pas les jambes aussi fraîches qu’en Hollande et elle commence à perdre du terrain à l’amorce du dernier tour. Finalement elle ne peut pas obtenir mieux que la sixième place en 2’06″24 et se voit éliminée avec le 21e rang de ce 800 m.
Demi-finaliste sur 60 m à Apeldoorn, William Jeff Reais (LC Zurich) ambitionne de rééditer cet exploit, mais cette fois-ci au niveau mondial. Il a les moyens de le faire, à condition de faire partie des trois premiers de sa série. Celle-ci est l’un niveau très homogène, ce qui débouche sur le cassé de quatre sprinters morts de faim au passage de la ligne d’arrivée. Tous crédités d’un chrono de 6″70, il a donc fallu les départager au millième. Ouf, les grains de sables du sablier hyper précis de Seiko ont été favorables au Suisse puisqu’il termine deuxième ex-aequo, avec un petit millième d’avance sur le quatrième.
En tout début de soirée, on retrouve Joceline Wind (Biel/ Bienne Athletics) en séries du 1500 m. Douze jours après sa belle huitième place à Apeldoorn, la Biennoise a pu comparer les différences qui peuvent exister entre une course de format européen ou mondial. Son sixième rang dans sa série en 4’17″81 lui rapporte le 20e rang final et lui permet surtout d’en ressortir grandie : «La finale des championnats d’Europe avait été un nouveau pallier dans ma carrière et dans ma vie. Ce n’était pas facile émotionnellement de courir ici aux championnats du monde, moins de deux semaines après Apeldoorn. Il m’a fallu des années de travail acharné pour atteindre ce niveau; mais depuis deux ans, tout semble se mettre en place».
La session du soir remet en scène William Jeff Reais pour les demi-finales du 60 m. Sur une piste qui n’a pas l’air d’être aussi rapide qu’aux championnats d’Europe, le Grison du LCZ n’arrive pas à approcher les 6″62 de son record personnel établi lors des championnats suisses à Saint-Gall. Il avait espéré mieux que ses 6″72 qui lui donnent la 23e place finale. Mais il peut être fier d’avoir atteint les demi-finales de ces Mondiaux et, surtout, il reste optimiste pour les 100 m et 200 m auxquels il va prendre part cet été.
Tout comme Reais, Lionel Spitz a été éliminé en demi-finale du 400 m. Complètement épuisé, le Zurichois a payé son manque d’entraînement spécifique à cause de sa blessure subie il y a huit semaines de cela. Car bien entendu courir dans l’eau c’est bien; mais ça ne remplace pas les magnifiques sensations des foulées sur la terre ferme. Crédité de 47″72, il a donc perdu une seconde par rapport à sa course de la matinée. Ce n’est pas si grave car l’essentiel pour lui est de retrouver la santé afin de rééditer dès ce printemps les excellents tours de piste qu’il à l’habitude de nous distiller.
La dernière nouvelle de cette première journée concerne le hurdler Jason Joseph (LC Therwil). Handicapé par une gêne musculaire à la cuisse qui s’est aggravée ces derniers jours, le Bâlois doit malheureusement renoncer à s’aligner lors des séries de 60 m haies prévues demain matin.
Blessée, Angelica Moser est prise dans un incroyable ascenseur émotionnel
Au programme de la deuxième journée de ces championnats du monde en salle, le clan helvétique sait que, potentiellement, deux médailles pourraient être décrochées ! Quoi de plus logique en sachant qu’Angelica Moser et Mujinga Kambundji vont entrer dans leur danse respective. Hélas, dix fois hélas, la championne d’Europe du saut à la perche n’a pas vraiment la tête à danser. Jeudi lors d’un entraînement technique, la Zurichoise s’est tordu la cheville gauche sur le tapis de réception. Et ceux qui l’ont vu quitter la salle en boîtant bien bas, ont certainement eu raison de penser qu’un forfait allait être annoncé. Dès l’après-midi, c’est un véritable contre-la-montre qui débute pour une Angelica qui pleure pour l’instant toutes les larmes de son corps. Grâce à la kinésithérapeute de Swiss Athletics, un processus de soins intensifs est mis en place. Malgré cela, la journée de vendredi laisse évidemment un grand point d’interrogation quant à une participation à la finale du lendemain. Pourtant samedi matin, ceux qui l’avaient vue deux jours plus tôt ont dû se pincer pour le croire : Moser débarque dans la salle avec ses perches, puis elle débute son échauffement ! Ou bien elle est folle à lier, ou bien elle possède vraiment la meilleure équipe de soins du monde. Apparemment, c’est bien la seconde solution qui semble être la plus plausible. Mais pas de précipitation car il faut maintenant tout rassembler ce qui a été éparpillé et c’est ça qui s’avère être compliqué. À sa première barre à 4,45 m, la Suissesse n’y est tout simplement pas sur ses deux premières tentatives et on sent venir la catastrophe. En sortant tout son savoir et son abnégation lors d’un troisième essai de tous les dangers, Angelica franchit enfin cette hauteur. Ce qui aurait dû être une formalité s’est transformée en cauchemar; mais dans cette répétition de courses d’élan, le point positif est de constater que sa cheville ne lui fait pas trop mal. Cette constatation ne pourrait-elle pas lui permettre de se libérer totalement ? C’est effectivement le cas puisqu’elle parvient à franchir au premier essai la hauteur suivante à 4,60 m. En deux barres, son classement est passé du 11e au 4e rang ! C’est tout à fait incroyable, mais il faut aussi que cet état de grâce puisse se poursuivre. À 4,70 m, Moser continue son miracle en franchissant à nouveau à son premier essai, tout comme la Française Marie-Julie Bonnin. À cet instant, les montants connaissent de gros problèmes techniques, tant et si bien que cette finale doit être interrompue pendant plus d’une demi-heure. À la reprise du concours, la Slovène Tina Sutej passe au premier essai et prend la tête. Parmi les cinq autres perchistes qui n’ont plus que deux tentatives, seule la Britannique Molly Caudery – la championne du monde indoor en titre – parvient à effacer ces 4,70 m, avec un magistral deuxième essai. Elles sont donc quatre à tenter 4,75 m. Sur sa bonne lancée, Caudery est impressionnante, mais elle manque à chaque fois de justesse. Sutej n’est pas ridicule non plus, surtout à son troisième essai, alors que Moser peine dans sa course d’élan et manque ainsi de profondeur dans son saut. Finalement la perf du jour est réalisée par Marie-Julie Bonnin qui bat avec une marge incroyable le record de France indoor et qui s’offre un titre mondial qu’elle n’avait jamais imaginé.
Quant à Angelica Moser, elle a retrouvé le sourire en s’affichant sous le drapeau suisse : «Je suis très satisfaite. Durant la compétition, malgré la douleur, j’ai senti que mon pied tenait. Mentalement, ce n’était pas facile, d’autant plus que la compétition s’éternisait à cause de problèmes d’installation et de la prise en compte des courses sur la piste». Avec cette blessure à la cheville qu’il a fallu soigner en catastrophe, la Zurichoise est donc contente d’avoir arraché la médaille de bronze et non d’avoir perdu l’or. Que se serait-il passé sans la pause due aux problèmes techniques ? On ne le saura jamais, même si plusieurs scénarios peuvent être facilement imaginés. Il en reste que, onze ans après sa victoire aux Jeux Olympiques de la jeunesse 2014 à… Nankin, la sauteuse d’Andelfingen vient de remporter là sa douzième médaille internationale ! Surtout, elle décroche ainsi son tout premier podium élite à des championnats du monde. Cette médaille de bronze, totalement utopique la veille à cause de cette blessure au pied, fait suite à deux quatrièmes places dans cette même compétition, en 2022 à Belgrade et en 2024 à Glasgow. Si l’on rajoute sa quatrième place aux Jeux Olympiques à Paris l’an dernier, on ne peut que s’incliner bien bas devant ce palmarès hors du commun. La suite de cette merveilleuse histoire passera d’abord par les soins de ses deux ligaments déchirés à Nankin, avant de relancer la meilleure préparation possible en vue des championnats du monde à Tokyo en septembre prochain.
Les sprinteuses passent facilement en demi-finales
Pendant le concours plein de courage d’Angelica Moser, les deux sprinteuses helvétiques sont en piste lors de cette session matinale. Dans la quatrième série du 60 m, Mujinga Kambundji (ST Bern) l’emporte en 7″20 sans avoir eu besoin de forcer son talent. Son expérience lui permet de savoir que ce n’est pas vraiment le moment d’épater la galerie.
Quelques minutes plus tard, Géraldine Frey (LK Zug) se qualifie, au temps, en prenant la quatrième place dans la cinquième série en 7″26. La Zougoise atteint donc pour la seconde fois le stade des demi-finales dans cette compétition, après sa belle prestation de 2022 à Belgrade. On l’a déjà évoqué, la piste de Nankin semble nettement moins rapide que celle d’Apeldoorn. Par conséquent, les 7″26 de Géraldine sont à considérer comme étant totalement satisfaisants. Il faudra pourtant qu’elle trouve le moyen de rehausser son niveau si elle entend participer à la finale.
L’audace impressionnante d’Audrey Werro
Il est 5:05 samedi matin en Suisse, mais il y a fort à parier que le Live Stream est suivi par de nombreux fans d’Audrey Werro. Très à l’aise lors des séries, la Fribourgeoise possède une fantastique opportunité d’atteindre sa première finale mondiale en élite. Pour cela, il faut absolument qu’elle prenne l’une des trois premières places de sa demi-finale. Grâce à ses expériences à Apeldoorn, Audrey en a beaucoup appris par rapport à son placement en course. Maintenant elle adopte la meilleure tactique possible en prenant la tête dès le départ. Sa vigilance de tous les instants lui permet de courir à sa main sans être ennuyée et fonce dans le dernier tour. Tout en contrôle dans la dernière ligne droite, Audrey Werro se qualifie en mode patronne en 2’01″11, soit le meilleur chrono de ces demi-finales. Elle devance d’un dixième la Sud-Africaine Prudence Sekgodiso et d’un quart de seconde la Polonaise championne d’Europe indoor Anna Wielgosz. Attention cependant à l’accès de confiance car dans l’autre demi-finale, on a vu les deux Éthiopiennes Tsige Duguma et Nigist Getchew très affûtées.
Malgré une course poussive, Mujinga Kambundji se faufile en finale
En début de soirée, on retrouve nos deux sprinteuses pour les demi-finales du 60 m. Après avoir entrevu de loin les 7″07 de l’Italienne Zaynab Dosso dans la première course, Mujinga Kambundji est à pied d’œuvre avec l’envie de délivrer un message à ses adversaires. Pourtant sur cette piste de Nankin, la Bernoise semble nettement moins à l’aise qu’à Apeldoorn. Selon ses dires, c’est sa technique qui est pour l’instant d’un faible niveau. En courant de manière poussive, Mujinga joue avec le feu en terminant deuxième en 7″12, dans le même chrono que la vainqueur Luxembourgeoise Patrizia Van Der Weken. Elle devance d’un millième l’Australienne Zoe Hobbs, qui se qualifie au temps. Sans qu’il y ait eu péril en la demeure, il serait de très bon ton que Mujinga puisse trouver les clés techniques dans l’heure qui la sépare de la finale.
Dans la troisième demi-finale, Géraldine Frey joue son va-tout. Son départ est excellent et sa détermination fait plaisir à voir. En terminant sixième de sa course en 7″24, la Zougoise parvient à faire deux centièmes de mieux qu’en matinée. Pour sa seconde participation à une demi-finale de ce niveau, Géraldine se classe 13e de ce 60 m mondial, ce qui est remarquable. La sprinteuse d’Unterägeri de 27 ans reste une valeur sûre en salle. On aimerait bien la voir briller de la même façon l’été venu.
Mujinga Kambundji retrouve la clé technique et s’en sert à merveille
Une heure après sa demi-finale où sa technique avait quelque peu fait défaut, Mujinga Kambundji se retrouve face à un nouveau défi au plus haut niveau mondial. On l’imagine, dans ce 60 m qui sent la poudre, tout peut arriver. Pourtant si la Bernoise court comme elle sait si bien le faire dans une finale de grand championnat, alors on devrait être en droit de rêver d’un nouvel exploit de sa part. Au coup de pistolet, Patrizia Van Der Weken (0″137), Ewa Svoboda (0″143) et Mujinga Kambundji (0″144) sont les plus promptes à réagir. Avec son temps de réaction catastrophique (0″180), Zaynab Dosso ne reste pourtant pas vaincue. Alors que la Suissesse caracole en tête, l’Italienne reprend centimètre après centimètre. Sur la ligne, les écarts sont infimes, mais à l’oeil nu on reste serein. Mujinga Kambundji a passé l’épaule en 7″04, juste devant Zaynab Dosso en 7″06, Patrizia Van Der Weken en 7″07 et Ewa Svoboda en 7″09.
En s’imposant sur le fil, Mujinga Kambundji cueille à Nankin son deuxième titre mondial sur 60 m en salle. Déjà sacrée en 2022 à Belgrade, la Bernoise réussit même la passe de trois podiums en trois participations à ces Mondiaux indoor, puisqu’elle avait terminé troisième en 2018 à Birmingham. Loin d’être gagnée à l’avance, cette nouvelle médaille – la onzième de la star de l’athlétisme suisse dans un grand rendez-vous international élite – a été cherchée en utilisant toute son expérience : «Je suis vraiment heureuse, vraiment soulagée. C’était très similaire aux championnats d’Europe. Zaynab venait aussi de là et je savais qu’elle allait être rapide. Cela signifie beaucoup que ce titre arrive à ce stade de ma carrière. Je le constate chez les autres sprinteurs, les plus âgés : ils me motivent aussi énormément de voir qu’ils continuent à battre leurs records personnels et à courir très vite à 35 ou 36 ans. Cela me prouve que mon meilleur temps est encore possible».
Mujinga Kambundji est décidément incroyable lors des finales de grands championnats. Avec ce nouveau titre, elle devient l’athlète suisse la plus prolifique dans ces championnats du monde en salle en décrochant la treizième médaille de l’athlétisme suisse aux Mondiaux indoor. Bravo Mujinga et rendez-vous à Tokyo pour d’autres magnifiques aventures.
Au terme de la deuxième journée de ces championnats du monde en salle de Nankin, l’équipe suisse pointe au septième rang du tableau des médailles derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne, Cuba, l’Éthiopie, la France et l’Italie. Ce classement pourrait fort bien être amélioré dimanche avec les prestations très attendues de nos quatre derniers ténors : Annik Kälin, Ditaji Kambundji, Simon Ehammer et Audrey Werro; rien que ça !
Face à une concurrence féroce en séries, Ditaji Kambundji reste sereine
Dimanche 23 mars, la dernière journée débute d’entrée très fort avec les séries du 60 m haies de Ditaji Kambundji (ST Bern). La nouvelle star de l’athlétisme suisse est un peu l’attraction ici à Nankin, au point d’avoir l’insigne honneur d’être invitée par World Athletics à la conférence de presse officielle, la veille du début de ces championnats du monde en salle, ceci en compagnie de Mondo Duplantis et Zaynab Dosso ! Engagée dans la cinquième et ultime série, Ditaji se retrouve avec la Polonaise Pia Skrzyszowska. Avant elles, on a pu voir à l’œuvre leurs principales adversaires. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elles ont été désireuses de marquer leur territoire. Dans la deuxième série, la Bahaméenne recordwoman du monde Devynne Charlton déroule en 7″94. Au cours de la course suivante, la Néerlandaise Nadine Visser s’impose en 7″82, tandis que dans la quatrième, l’Américaine Grace Stark et la Bahaméenne Denisha Cartwright améliorent leur record personnel en 7″73 et 7″78. Le ton est donné, mais Ditaji reste totalement concentrée sur son plan d’action. Bien partie et en tête sur la troisième haie, la Bernoise semble relâcher quelque peu ses efforts, ce dont profite Skrzyszowska pour passer devant sur la ligne d’arrivée en 7″83. Créditée de 7″85, la jeune Kambundji pointe donc au cinquième rang de la hiérarchie. À elle de monter en puissance lors des demi-finales prévues en début de soirée.
Annik Kälin finit par déployer ses ailes
Il fallait s’y attendre : la finale mondiale du saut en longueur féminin qui a débuté à 10:20 du matin a mis du temps à décoller. Annik Kälin (AJ TV Landquart), qui peut tirer son épingle du jeu en l’absence des deux autres médaillées d’Apeldoorn (Larissa Iapichino et Malaika Mihambo), ne connaît pourtant pas un début de concours idéal. En mordant sa première tentative, elle se retrouve déjà dans une posture délicate. Heureusement, cette première ronde d’essais dévoile que le niveau d’est pas des plus hauts pour l’instant, avec l’Américaine Claire Bryant aux commandes grâce à ses 6,76 m, juste devant l’Espagnole Fatima Diame avec 6,72 m. La deuxième tentative de la Suissesse passe, mais ça ne décolle pas idéalement. Pourtant avec ce saut mesuré à 6,63 m, Annik se place en troisième position. Les deux faits principaux de la troisième série d’essais sont les 6,90 m de Bryant et les 6,63 m de la Bulgare Plamena Mitkova. Avec ses 6,59 m, Kälin reste sur le podium, mais elle est plus que jamais menacée. Elles ne sont plus que dix en lice pour un quatrième saut. Parmi les leaders, trois mordent leur tentative, alors qu’Annik se rate avec 6,46 m. Il ne reste plus que deux essais pour au moins consolider cette fébrile troisième place. Mais on est en droit d’attendre mieux de la Grisonne, qui doit absolument regarder plus loin que les 6,72 m de l’Espagnole Diame, qui semble en perte totale de technique. Un premier pas dans ce sens est réussi par Kälin, qui voit son cinquième essai être mesuré à 6,66 m; la bête commence à se rebeller ! Cependant quelques minutes plus tard, l’Américaine Claire Bryant enfonce le clou de manière… claire et brillante : 6,96 m, record personnel. Malgré un titre mondial qui vient sûrement de lui échapper, Annik Kälin est tout de même remontée comme un coucou pour une ultime tentative qu’on espère décisive. Sa mise en action est fort déterminée et enfin on la retrouve dans une course d’élan proche de sa belle attitude qu’on avait pu admirer à Apeldoorn. L’appel est précis à six millimètres près et l’envol est superbe, tout comme son ramené qui laisse une marque loin dans le sable. A-t-elle pu dépasser les 6,72 m de Diame ? La réponse est : ouiiii ! Avec un magnifique bond à 6,83 m, Kälin déloge l’Espagnole de la deuxième marche du podium. Cette dernière peut encore riposter, mais elle n’y est plus depuis longtemps et elle est créditée d’un 6,41 m nettement insuffisant.
Cette troisième médaille de l’athlétisme suisse à Nankin (la 14e dans toute l’histoire de ces championnats) est totalement méritée car elle récompense une athlète des plus sérieuses dans son approche de la compétition. Après avoir remporté l’argent aux championnats d’Europe en salle il y a deux semaines, voici Annik ornée d’une médaille du même métal au niveau mondial. Cette fabuleuse trajectoire va-t-elle se prolonger en direction de la ligne mythique des sept mètres ? Ce serait en fait assez fou; mais les ambitions de l’une des stars helvétiques ne sont plus à ça près de nous étonner.
Ditaji Kambundji affiche clairement ses ambitions en demi-finales
La soirée de cette ultime journée débute par un nouveau brûlot pour Ditaji Kambundji. En héritant de la troisième demi-finale, elle va devoir affronter les deux meilleures hurdleuses des séries. Ce test grandeur nature est en fait une bonne chose pour la Suissesse car elle va pouvoir jauger clairement son niveau de forme. Est-ce que Grace Stark et ses quettes de Mickey et Denisha Cartwright et ses très longs cheveux roux vont jouer les trouble-fêtes ? On est vite fixé avec Stark qui l’emporte en 7″72 devant Kambundji en 7″76, alors que Cartwright a perdu pied en 8″08. En signant le deuxième chrono de sa carrière, Ditaji est ainsi prête pour la finale. Mais attention, les autres concurrentes ont également été en vue lors de ces demi-finales avec Pia Skrzyszowska en 7″79, Nadine Visser en 7″81 et Devynne Charlton en 7″82. La bagarre en finale tout à l’heure va être terrible.
Simon Ehammer en échec
Médaillé d’argent de l’heptathlon des championnats d’Europe à Apeldoorn avec un nouveau record suisse à 6’506 points valant la cinquième performance mondiale de tous les temps, Simon Ehammer (TV Teufen) s’est mué en spécialiste du saut en longueur à l’occasion de ces Mondiaux indoor. Il est vrai que ses 8,20 m réussis il y a deux semaines aux Pays-Bas lui permettent de rêver potentiellement d’un podium ce dimanche soir dans le Cube de Nankin. Face à une belle concurrence, l’Appenzellois va devoir sortir le grand jeu et surtout être précis dans son appel, ce qui n’est pas le cas lors de son premier essai, mordu de douze centimètres. Sur les conseils d’Yves Zellweger, l’entraîneur national, Simon recule ses marques de vingt centimètres, histoire d’assurer le coup pour son deuxième essai. Pris à mi-planche, le bond de Simon atterrit à 7,92 m. L’essentiel est sauvé, même si cela ne le place qu’en huitième position. Ce début fort décevant doit absolument être rectifié au troisième essai. Avec une marge identique sur la planche, Ehammer s’améliore quelque peu avec 7,99 m mais ce n’est toujours pas suffisant. Lors de la quatrième ronde, le Grec Miltiadis Tentoglou passe devant le Suisse, tandis que ce dernier mord d’un rien sa tentative. Classé au neuvième rang à ce moment-là, selon la nouvelle réglementation, le concours de Simon s’arrête abruptement là ! Apparemment dans un mauvais jour, Simon Ehammer n’a pas réussi à mettre à profit ses formidables qualités physiques. De là à dire qu’il n’a pas fait le bon choix en optant pour la longueur au lieu de l’heptathlon, ce débat n’est pas à l’ordre du jour.
Audrey Werro battue sur le fil pour le bronze
On en arrive gentiment au terme de ces championnats du monde en salle, mais le clan helvétique n’a pas fini de vibrer, loin s’en faut. La finale du 800 m féminin est désormais au coeur de son attention avec la jeune Fribourgeoise Audrey Werro. Comment la double championne d’Europe U20 et vice-championne du monde U20 2022 va pouvoir se comporter face à ses cinq adversaires ? Si elle adopte une tactique aussi agressive qu’en demi-finales et que ses jambes tiennent le choc dans l’emballage final, on pourrait être agréablement surpris. La course part d’emblée assez vite avec Audrey qui se place en troisième position. Devant, les deux Éthiopiennes Nigist Getachew et Tsiga Duguma sont rejointes par la Sud-Africaine Prudence Sekgodiso. Audrey passe aux 400 m en 56″65, ce qui est un temps de passage assez ahurissant. Hélas un trou s’est formé avec les trois meilleures et la Fribourgeoise emmène désormais dans son sillage la Portugaise Patricia Silva et la Polonaise Anna Wielgosz. En passant en 1’28″56 aux 600 m, Audrey tient toujours le choc. Mieux, elle voit devant elle que Duguma est en train de voler en éclats. En quelques secondes, la Suissesse se retrouve au troisième rang, à cent mètres du terme de cette finale. Le momentum est absolument haletant. À fond mais bientôt à bout de forces, Audrey Werro sent les deux Européennes revenir inexorablement sur elle. Un coup d’oeil à droite à dix mètres de l’arrivée lui permet de voir Patricia Silva donner tout ce qu’elle a dans la bagarre. La Fribourgeoise tente de réagir mais elle se penche légèrement en avant et casse à peine trop tôt avant la ligne. Malheureusement la réussite ne lui sourit pas car Audrey se voit échouer au pied du podium pour un misérable centième face à la Portugaise ! Mais quel dommage, vraiment, d’avoir dû céder au tout dernier moment. Au sol, le prodige de Belfaux voit sur l’écran géant qu’elle a effectivement été battue d’un souffle; mais elle voit aussi son temps, qui est monstrueux : 1’59″81, record suisse indoor et record d’Europe U23 indoor ! Si ce chrono est un énorme motif de satisfaction, il peine pour l’instant à atténuer une frustration bien compréhensible . «Je suis contente de ma place. Mais la frustration est bien là. Elle me passe sur la ligne. J’ai livré une bonne course en étant toujours bien placée. C’est parti très vite. Il y a ensuite de la fatigue dans les jambes. J’ai essayé de tenir jusqu’au bout». Cette cruelle quatrième place vient tout de même la réconforter par le fait qu’elle a su jouer les premiers rôles dans une compétition de niveau mondial en élite. En battant par exemple la récente championne d’Europe en titre (Anna Wielgosz), elle démontre que son potentiel est sans aucun doute très loin de son plafond.
Ditaji Kambundji incroyablement heureuse
Le feu d’artifice de l’athlétisme suisse pourrait connaître un magnifique bouquet final avec l’ultime 60 m haies de Ditaji Kambundji. Pourtant l’incertitude règne au moment de la présentation des athlètes de cette finale explosive car au moins six d’entre-elles peuvent prétendre à l’une des places sur le podium. En ayant signé le deuxième chrono des demi-finales derrière l’Américaine Grace Stark, on avait décelé que Ditaji n’avait pas donné sa pleine vitesse terminale après la cinquième haie. Cette petite marge sera-t-elle suffisante pour en laisser au moins cinq derrière elle ? On veut bien le croire. Au coup de pistolet, à part la Jamaïcaine Amoi Brown qui manque sa réaction, toutes les autres sont au diapason. C’est donc la vitesse et la technique de chacune qui va être déterminante. La Bernoise est assurément dans le coup, mais sur la même ligne que ses adversaires. Au passage de la dernière haie, six tigresses sont au coude à coude pour la victoire. Le dernier sursaut de Ditaji sur le plat, cette fois-ci à fond, lui permet de se jeter sur la ligne en relative bonne posture. Cette finale a tenu toute ses promesses et c’est désormais Seiko qui doit œuvrer pour nous donner la vérité chronométrique. Sur l’écran TV, les rangs incrustés en bas à gauche sont simplement indicatifs. Pourtant on remarque le nom de Kambundji en deuxième position; c’est donc bon signe, mais attendons encore… Le verdict tombe pour le titre mondial, qui revient à Devynne Charlton, la recordwoman du monde et tenante du titre, en 7″72. Quelques secondes plus tard, c’est officiel : Ditaji Kambundji est créditée de 7″73. Comme pour sa camarade Audrey Werro, elle doit s’incliner elle aussi pour un centième, mais à la différence près que la Bernoise a conquis une magnifique médaille d’argent ! Derrière, le classement met du temps à venir, preuve que tout a été très serré et que le millième doit être appliqué. Finalement elles sont trois à 7″74, donc à un centième de la Suissesse : la Jamaïcaine Ackera Nugent décroche le bronze (7″735), devant Pia Skrzyszowska (7″738) et Grace Stark (7″740), alors que Nadine Visser, pourtant à quatre centièmes du titre avec ses 7″76, ne se retrouve que sixième !
Titrée à Apeldoorn il y a deux semaines avec le chrono incroyable de 7″67 (à deux centièmes du record du monde indoor), la Bernoise a réussi à tenir une pression qui devait être énorme à vivre : «C’était une course difficile et être battue uniquement par la détentrice du record du monde est parfaitement acceptable. J’ai tout donné, même si ce n’était certainement pas une performance absolument parfaite. Néanmoins, je suis incroyablement heureuse et j’emporte beaucoup avec moi pour la saison en plein air». Avec ses 7″73, soit le deuxième meilleur temps de sa carrière, Ditaji offre à la Suisse une quatrième médaille dans ces Mondiaux indoor après l’or de sa soeur Mujinga sur 60 m, l’argent d’Annik Kälin au saut en longueur et le bronze d’Angelica Moser au saut à la perche.
Le meilleur bilan suisse de tous les temps grâce aux athlètes féminines
Les quatre médailles (1-2-1) de l’équipe suisse à Nankin représentent le meilleur bilan des vingt éditions de ces championnats du monde en salle. Le meilleur résultat jusqu’alors était de trois podiums (1-2-0) en 2022 à Belgrade. Finalement au tableau des médailles, la Suisse termine à une superbe 7e place derrière les États-Unis (6-4-6), la Norvège (3-0-1), l’Éthiopie (2-3-0), la Grande-Bretagne (2-1-1), l’Italie (2-1-0) et l’Australie (1-2-4).
En préambule des derniers championnats d’Europe en salle à Apeldoorn, on avait relevé que l’athlétisme suisse y présentait sa plus forte équipe féminine de tous les temps. Avec quatre médailles européennes et quatre autres mondiales remportées en quinze jours par nos stars féminines, nos propos prennent tout leur sens. Pour avoir relaté sur ATHLE.ch VINTAGE toutes les difficultés des pionnières de l’athlétisme féminin en Suisse (sur une longue période allant de 1921 à 1964), le contraste est bien évidemment saisissant.
Résultats
Hommes | |||
60 m | : | 23. | William Jeff Reais (LC Zürich) 6″70 en séries et 6″72 en demi-finales |
400 m | : | 11. | Lionel Spitz (Adliswil Track Team) 46″79 en séries et 47″72 en demi-finales |
Longueur | : | 9. | Simon Ehammer (TV Teufen) 7,99 m |
Femmes | |||
60 m | : | 1. | Mujinga Kambundji (ST Bern) 7″04 / 7″20 en séries et 7″12 en demi-finales |
13. | Géraldine Frey (LK Zug) 7″26 en séries et 7″24 en demi-finales | ||
800 m | : | 4. | Audrey Werro (CA Belfaux) 1’59″81 (record suisse indoor / record d’Europe U23) / 2’04″91 en séries et 2’01″11 en demi-finales |
21. | Rachel Pellaud (FSG Bassecourt) 2’06″24 en séries | ||
1500 m | : | 20. | Joceline Wind (Biel/Bienne Athletics) 4’17″81 en séries |
60 m haies | : | 2. | Ditaji Kambundji (ST Bern) 7″73 / 7″85 en séries et 7″76 en demi-finales |
Perche | : | 3. | Angelica Moser (LC Zürich) 4,70 m |
Longueur | : | 2. | Annik Kälin (AJ TV Landquart) 6,83 m |