Photo : (c) ATHLE.ch
Après deux campagnes de premier choix à Torun en 2021 et à Istanbul en 2023, est-ce que la génération dorée de l’athlétisme suisse est toujours suffisamment armée pour prolonger cet état de grâce en 2025 ? Au vu de la sélection proposée par Swiss Athletics, il est évident que les quatre jours de compétition à l’Omnisport Apeldoorn paraissent plus que jamais prometteurs. Comment peut-il en être autrement en citant Simon Ehammer et Jason Joseph chez les hommes et, surtout, en avançant sans trop se tromper qu’on y présente la plus forte équipe féminine suisse de tous les temps avec notamment Mujinga Kambundji, Audrey Werro, Lore Hoffmann, Rachel Pellaud, Joceline Wind, Ditaji Kambundji, Annik Kälin et Angelica Moser.
La première journée débute d’entrée avec une belle surprise pour Joceline Wind (Biel/Bienne Athletics). Toujours placée aux avant-postes de sa série du 1500 m, la Biennoise a ainsi pu éviter les bousculades dans le dernier tour et elle s’est brillamment qualifiée pour la finale en 4’14″51. Du côté des qualifications du saut à la perche des femmes, Angelica Moser (LC Zürich) a géré tranquillement son affaire en franchissant 4,45 m, puis 4,55 m à son premier essai. Ses deux sauts de démonstration lui assurent la première place à égalité avec trois autres athlètes; le rendez-vous est pris pour samedi soir avec une finale certainement fort captivante à suivre. Sur 60 m haies, Jason Joseph (LC Therwil) et Ditaji Kambundji (ST Bern) se sont qualifiés pour les demi-finales en ménageant leurs efforts en 7″56 et en 7″92. Mathieu Jaquet (LC Frauenfeld) se classe 28ème avec ses 7″86, tandis que Selina von Jackowski (LC Zürich) a été créditée de 8″22, valant également la 28ème place.
Une lutte sans merci entre Simon Ehammer et Sander Skotheim
La matinée de vendredi nous plonge directement dans le 60 m de l’heptathlon. Cette première épreuve donne le coup d’envoi d’un véritable duel de titans entre Simon Ehammer (recordman suisse avec 6’418 points) et le Norvégien Sander Skotheim (recordman d’Europe avec 6’484 points). Si le storyboard de cette première journée semble déjà écrit (départ en fanfare du Suisse, puis retour en force du Norvégien grâce à la hauteur), il faut tout de même aborder chaque épreuve avec la plus grande vigilance. Les expériences malheureuses de Simon en 2021 à Torun (zéro à la perche) et en 2023 à Istanbul (zéro en longueur) suffisent à elles seules pour lui rappeler que tout peut arriver durant les deux jours de son périple. Alors que le 60 m offre à l’Appenzellois le bel avantage de 44 points grâce à ses 6″81, une demi-heure plus tard au saut en longueur, on doit trembler après son premier essai mordu. Sa deuxième tentative doit donc absolument passer et on espère que son coach Karl Wyler a pu lui donner les bonnes indications. La tension est assurément montée de quelques crans au moment où Ehammer entame une course d’élan rapide et rythmée. Son appel claque au bout de la planche et le propulse bien au-delà des huit mètres. De tout temps, le juge à la planche levait un drapeau, rouge ou blanc. Désormais dans cette discipline, il faut attendre un verdict électronique, qui tarde très souvent à venir. Ouf ! C’est du vert qui s’affiche, mais il s’en est fallu de peu car l’image figée de l’appel montre une marge de… 0,5 centimètres ! Les 8,20 m de Simon sont donc validés, ce qui lui permet de laisser son adversaire direct à 25 cm et à 108 points après deux épreuves. De plus – on le saura en fin de soirée – ce bond vaudra également le titre européen dans l’épreuve individuelle. En effet, la victoire est revenue au jeune Bulgare Bozhidar Saraboyukov avec 8,13 m. En début d’après-midi, le lancer du poids engendre une agréable surprise avec une première tentative de Simon Ehammer mesurée à 15,15 m. Face aux 14,39 m de Sander Skotheim, l’avance se chiffre désormais à 155 points. Tous les feux sont au vert pour le Suisse, mais attention à la classe du Norvégien au saut en hauteur car il pourrait bien renverser la vapeur. C’est évidemment ce qui se produit en soirée, avec Ehammer qui ne franchit pas plus que 1,98 m, alors que le natif d’Oslo efface avec maestria 2,19 m. En reprenant 197 points dans ce véritable one man show, Skotheim vire en tête à l’issue de la première journée avec 3’689 points, soit 42 unités d’avance; quel somptueux duel !
Des courses de 800 m fort bien maîtrisées
Les séries du 800 m féminin – l’une des deux épreuves avec le 60 m des femmes qui présente trois participantes défendant les couleurs de notre pays – ont montré que les ambitions helvétiques dans cette compétition ne sont pas des paroles en l’air. Dans la deuxième série, Lore Hoffmann (ATHLE.ch) construit sa course de manière crescendo pour réaliser un très bon dernier tour qui lui permet de terminer deuxième derrière la Slovène Anita Horvat en 2’08″75. Dans la série suivante, Rachel Pellaud (FSG Bassecourt) reste fort lucide par rapport à la configuration de la course. Son finish tranchant derrière la Polonaise Anna Wielgosz lui offre elle aussi une belle qualification pour les demi-finales en 2’04″04. Enfin dans la quatrième course, Audrey Werro (CA Belfaux) déroule en tête sa majestueuse foulée, sans être inquiétée. Elle poursuit sereinement son effort pour passer la ligne d’arrivée en 2’00″92, un chrono qui est taxé de nouveau record d’Europe U23 en salle. Du coup un gros point d’interrogation fait surface car en Suisse on sait très bien qu’Audrey Werro avait réussi 2’00″16 l’an dernier lors des championnats du monde indoor à Glasgow. L’explication est pourtant fort logique : Depuis le 1er janvier 2025, European Athletics gère ses listes de records en salle sous la dénomination « Short Track ». Pour qu’une performance soit reconnue, European Athletics a établi des valeurs cibles et celle du 800 m U23 féminin a été fixée à 2’01″00. OK, à cela près que la Fribourgeoise a réussi un chrono de 2’00″34 le 2 février dernier lors du meeting de l’Eure à Val-de-Reuil. Malheureusement les organisateurs n’avaient pas remarqué ce record d’Europe U23 indoor, c’est pourquoi toutes les formalités (protocole et contrôle antidopage) n’avaient tout simplement pas été remplies. En passant, notons qu’une fois de plus on se permet d’ignorer ou d’effacer sans état d’âme les performances du passé, ce qui est un véritable scandale. Fort heureusement les 2’00″16 d’Audrey sont reconnus par Swiss Athletics comme étant le record suisse U23 indoor.
Chez les hommes, Ramon Wipfli (ST Bern) a réalisé une très belle prestation avec une deuxième place et un nouveau record personnel en salle en 1’48″27. Cette qualification est méritée car elle récompense l’attitude ultra positive du jeune coureur Bernois. Pour sa première à ce niveau de compétition, Ivan Pelizza (LC Zurich) a dû se contenter de la sixième place de sa série en 1’49″22, soit à plus de deux secondes de son excellent PB de 1’47″05 réalisé trois semaines auparavant à Ostrava.
Si le bilan du 800 m helvétique est très bon lors de ces séries, celui des coureurs de 400 m doit nous laisser sur notre faim. Chez les femmes, Catia Gubelmann (TV Unterstrass) a dû renoncer à prendre le départ après avoir ressenti lors de l’échauffement une gêne musculaire aux ischio-jambiers. Chez les hommes, Ricky Petrucciani (LC Zurich) et Lionel Spitz (Adliswil Track Team) n’ont malheureusement pas eu droit au chapitre. Spitz se classe au 18e rang en 46″67, soit tout de même le meilleur chrono helvétique depuis que ces championnats d’Europe indoor existent. Quant à Petrucciani, il termine 20e en 46″79. Le Tessinois, qui s’entraîne désormais sous les ordres de Laurent Meuwly à Papendal, avait pourtant les moyens de faire nettement mieux.
Annik Kälin et Ditaji Kambundji assurent, contrairement à Jason Joseph !
Pendant que nos coureurs en décousaient sur la piste bleue de l’Omnisport Apeldoorn, Annik Kälin (AJ TV Landquart) a fait une très belle impression lors des qualifications du saut en longueur. Après un premier saut mordu, la Grisonne de 25 ans réussit un magnifique 6,77 m lors de sa deuxième tentative, ce qui lui permet d’égaler le record suisse en salle qu’elle avait établi en février dernier lors du meeting indoor de Paris. Cette performance est également fort prometteuse car elle a été réalisée avec une marge de quatorze centimètres sur la planche. En remportant ce concours de qualification, Annik a montré à ses adversaires qu’elle sera une sérieuse cliente pour l’une des trois places du podium. En confiance grâce à une bonne vitesse et à une constance technique irréprochable, Kälin devrait nous épater samedi soir en finale.
Un peu plus tard sur 60 m haies, Ditaji Kambundji nous ravit à son tour en remportant sa demi-finale en 7″82, soit le meilleur chrono de toutes les athlètes. Sa vitesse, sa puissance et sa solidité technique ont fait merveille. La finale promet d’être explosive ce soir face à la Néerlandaise Nadine Visser et à la Polonaise Pia Skrzyszowska.
Quelques minutes plus tard, le clan suisse doit faire face à un gros revers de la part de Jason Joseph. Le champion d’Europe en titre a raté sa course et a dû se contenter d’une septième place en 7″70. Le Bâlois quitte la salle la tête basse et extrêmement déçu de ne pas avoir pu atteindre son objectif, qui était clairement de se battre en finale pour conserver son titre acquis il y a deux ans à Istanbul.
Joceline Wind vaillante en finale du 1500 m
Joceline Wind était extrêmement heureuse de sa première qualification pour une finale de grand championnat international. Mais elle doit maintenant trouver les forces nécessaires pour suivre le train des meilleures dans cette finale du 1500 m. Elle débute sa course en se plaçant proche de la tête, mais la hiérarchie se remet assez vite en ordre et Joceline doit laisser passer ses adversaires après trois tours. En s’accrochant vaillamment, la Biennoise reste proche du peloton. Son dernier tour est même remarquable, au point de reprendre la Française Bérénice Cleyet-Merle pour terminer au huitième rang en 4’10″42. C’était une très belle expérience pour elle, malgré des jambes plus aussi fraîches que la veille. Son attitude dans cette finale a été bien meilleure que lors de sa 20e place aux championnats d’Europe indoor 2023 à Istanbul et sa 18e place lors des championnats du monde indoor 2024 à Glasgow, preuve que son inlassable travail commence à porter ses fruits.
Un chef d’œuvre signé Ditaji Kambundji
Quelques images TV indiscrètes dans la chambre d’appel nous montrent les finalistes du 60 m haies des femmes en concentration extrême. Il faut dire que l’enjeu va être énorme car si on peut très facilement donner le nom des trois hurdleuses qui vont monter sur le podium, bien malin qui pourrait en donner l’ordre exact. Dans les faits, Ditaji Kambundji a réalisé le meilleur chrono des demi-finales en 7″82, juste devant Pia Skrzyszowska en 7″84 et Nadine Visser en 7″85, tout cela sans qu’aucune des trois n’ait paru à pleine vitesse. Il est 21:43 au moment où les tigresses se retrouvent derrière leurs starting-blocks. La Néerlandaise est au 3, la Polonaise au 4 et la Suissesse au 5. La tension est à son comble dans l’Omnisport Apeldoorn car la grande majorité du public n’a d’yeux que pour leur compatriote Nadine Visser. Ditaji reste imperturbable et déterminée comme jamais elle ne l’a été. Consciente de la belle opportunité qui s’offre à elle, ses forces vont être décuplées. Un temps de réaction de 0″129, plus rapide que ses deux adversaires, lui permet de franchir le premier obstacle légèrement en tête. Une prodigieuse accélération la propulse largement devant dès la troisième haie, tandis que sa stabilité technique lui permet de maintenir l’écart jusqu’à l’arrivée, malgré une magnifique opposition de la part de Visser. Ditaji Kambundji vient de réaliser la course parfaite, au point de battre d’un centième le record d’Europe, les 7″68 qui appartenaient à la Suédoise Susanna Kallur depuis le 10 février 2008 à Karlsruhe ! Oui, la Suissesse a claqué le chrono absolument incroyable de 7″67, soit la deuxième performance mondiale de tous les temps derrière le record du monde de la Bahaméenne Devynne Charlton en 7″65 et à égalité avec l’Américaine Tia Jones, ces deux références ayant été réalisées l’hiver dernier.
Souveraine championne d’Europe en salle du 60 m haies, la Bernoise a dû abaisser son record suisse de treize centièmes pour dominer Nadine Visser, excellente deuxième en 7″72 et Pia Skrzyszowska, troisième en 7″83. Ancienne championne d’Europe U20 et U23, Ditaji Kambundji a impressionné par son niveau de concentration : «Rien n’a pu me faire perdre mon calme aujourd’hui. J’aime les championnats, ils m’ont toujours poussée. Je peux garder le focus et ainsi apporter un certain calme et une certaine sérénité dans la compétition». Quant à ses 7″67, elle n’a pas réalisé tout de suite ce que ce temps signifiait : «J’étais simplement contente d’avoir gagné. Mais après réflexion, c’est magnifique. C’est un temps de dingue, je ne pensais pas que c’était possible». Dans son palmarès au niveau européen, après le bronze en plein air en 2022 à Munich, puis le bronze en salle en 2023 à Istanbul et l’argent à nouveau en plein air en 2024 à Rome, voici l’or en salle en 2025 à Apeldoorn qui vient couronner le talent d’une athlète exceptionnelle. En faisant partie de l’élite mondiale absolue, la jeune Bernoise va certainement être scrutée sous toutes les coutures par ses adversaires lors des prochains Mondiaux indoor qui se dérouleront dans deux semaines à Nankin. Ça ne semble pourtant pas vraiment perturber Ditaji, qui se réjouit simplement d’aller en Chine…
Simon Ehammer est en tête de l’heptathlon avant la dernière épreuve
Samedi matin sur les coups de 10:00, la seconde journée de l’heptathlon débute par le 60 m haies, une discipline qui devrait permettre à Simon Ehammer de reprendre le lead au détriment de Sander Skotheim. En réalisant 7″68, l’Appenzellois est largement au-dessus du lot dans cette épreuve. Relégué à 36 centièmes, Skotheim se prend 92 points dans la vue et voit son avance se transformer en un passif de 50 points. Dans l’enchaînement, le saut à la perche laisse les deux adversaires sur leurs positions, puisque chacun a pu franchir 5,10 m. Le troisième essai de Simon à 5,20 m a été de toute beauté, mais la barre n’a malheureusement pas tenu sur ses taquets, au grand désespoir de son auteur. C’est donc le Suisse qui va porter le dossard de leader au départ du 1000 m prévu en soirée à 20:45. Mais il ne faut pas se leurrer : avec 50 points d’avance seulement, ça va être très compliqué car le Norvégien est un excellent coureur de 1000 m.
Une quarantaine d’années après la Bâloise Ursula Stäheli (qui est toujours recordwoman suisse du lancer du poids avec 18,02 m en plein air et 18,75 m en salle), Miryam Mazenauer (TV Teufen) est en lice pour les qualifications du lancer du poids. L’Appenzelloise, qui avait déjà pu lancer aux championnats d’Europe de Rome l’an dernier, a réussi à se qualifier pour ces Européens indoor grâce à sa 16e place de l’Entry List. En réussissant 17,04 m à sa première tentative, Miryam a frôlé pour huit centimètres son record personnel. Elle termine cette qualification au 13e rang, ce qui reste une belle prestation. Pour rester dans le concours, il aurait tout de même fallu une distance de 18,31 m.
Enfin en clôture de cette matinée, William Jeff Reais (LC Zürich) a été crédité d’une belle performance lors des séries du 60 m en se qualifiant avec un grand Q pour les demi-finales. Malgré un temps de réaction moyen, le médaillé de bronze du 200 m des championnats d’Europe de Rome a passé la ligne d’arrivée en 6″66, soit à quatre centièmes de son meilleur chrono de l’hiver réussi à Saint-Gall à l’occasion des championnats suisses. En début de soirée, lors des demi-finales, le départ de Reais est encore plus catastrophique. Largué d’entrée, il n’a pas pu briller comme il le voulait, malgré une excellente fin de course. Il termine son 60 m en 6″70, ce qui le classe au 22e rang final.
Des demi-finales du 800 m haletantes
Avant de se plonger dans les péripéties des finales de la perche et de la longueur féminine, le clan helvétique doit se concentrer sur les différentes demi-finales du 800 m, où quatre de leurs compatriotes doivent en découdre. Avec un mode de qualification plutôt drastique (les trois premières de chacune des deux courses passent en finale), il va falloir être très forte pour s’illustrer. Dans la première demi-finale, Audrey Werro fait parler son sens du placement en restant en deuxième position derrière l’Espagnole Daniela Garcia. Au moment où la cloche retentit, la Fribourgeoise prend la tête et son solide finish lui donne une très belle victoire en 2’01″76, tout en contrôlant de manière fort lucide le retour de la Française Clara Liberman. Son attitude de patronne est de très bon augure…
Dans la seconde demi-finale, on retrouve Lore Hoffmann et Rachel Pellaud. Cette dernière, qui fête ses 30 ans aujourd’hui, se place en troisième position, tout en maintenant scrupuleusement la corde. Quant à Lore, elle se retrouve comme d’habitude en fin de peloton. Le rythme n’est pas franchement soutenu, mais on sent que ça s’accélère progressivement. À la cloche, Rachel est en deuxième position, alors que Lore met du temps à réagir. En sortie de virage, à 50 m du but, Rachel Pellaud jette toute ses forces dans la bagarre derrière la Polonaise Anna Wielgosz, la Slovène Anita Horvat et la Suédoise Wilma Nielsen. Bien lui en prend car elle parvient à passer Nielsen en 2’03″53 contre… 2’03″55. Sans avoir pu tirer son épingle du jeu, Lore Hoffmann se classe juste derrière en 2’03″85 et voit tous ses espoirs s’envoler. Alors qu’Audrey Werro et Rachel Pellaud verront la finale dimanche après-midi, Lore Hoffmann doit déchanter avec sa onzième place dans ce 800 m européen. C’est évidemment fort dommage pour elle, mais ce revers donne l’occasion de poser une question : est-ce que son avenir ne se situerait-il pas désormais sur 1500 m ?
Du côté des hommes, Ramon Wipfli a fort à faire face à des adversaires bien plus forts que lui. Bien que relégué en queue de peloton dans le dernier tour, le jeune Bernois parvient à s’accrocher du mieux qu’il peut et cette abnégation est récompensée par un nouveau record suisse indoor U23 en 1’47″30. Il pulvérise ainsi un vieux record de 38 ans qui était détenu par Gert Kilbert (TV Unterstrass) en 1’48″00. À même pas 21 ans, Ramon occupe désormais la quatrième place de la liste des meilleurs Suisses en salle de tous les temps, derrière André Bucher (1’44″93 en 2002), Ivan Pelizza (1’47″05 en 2025) et Markus Trinkler (1’47″26 en 1989). Ramon Wipfli représente l’avenir du demi-fond helvétique et ses deux prestations d’Apeldoorn devrait lui donner la confiance nécessaire afin de passer les différents paliers qu’il s’est certainement fixé.
45 minutes d’anthologie pour l’athlétisme suisse
Lors de la session du samedi soir, l’athlétisme suisse possède une série d’atouts qui pourraient bien marquer son histoire. Au saut à la perche, Angelica Moser maîtrise parfaitement ses trois premières barres à 4,45 m, 4,55 m et 4,65 m. Le niveau de ce concours est excellent car six sauteuses sont encore en lice à 4,70 m, une barre souvent considérée comme celle de l’écrémage. La Slovène Tina Sutej, 37 ans, prend une belle option en étant la seule à franchir au premier essai. Angelica Moser doit s’y reprendre à deux reprises, tout comme la Française Marie-Julie Bonnin et la Finlandaise Elina Lampela, alors que l’Italienne Roberta Bruni passe à sa troisième tentative. Elles sont maintenant cinq à tenter 4,75 m et celle qui passera en premier pourrait bien être sacrée championne d’Europe. Forte de son expérience, Moser concrétise à merveille ses espoirs en franchissant la barre à son deuxième essai. Après cette belle action, seule Sutej parvient à l’imiter à sa troisième tentative. À la hauteur suivante, placée à 4,80 m, la Suissesse met toute son énergie dans son premier essai, qui passe de fort belle manière ! Le record suisse indoor de Nicole Büchler est donc égalé. Malgré un record personnel à 4,82 m, la Slovène Sutej n’est pas à son aise sur cette barre quasi stratosphérique, qu’elle ne parvient finalement pas à maîtriser. Angelica Moser, la championne d’Europe en plein air l’an dernier à Rome, est donc devenue pour la deuxième fois championne d’Europe en salle. La médaille d’or étant assurée, Moser tente ensuite sans succès 4,89 m. La Zurichoise, quatrième des derniers Jeux Olympiques de Paris, a décroché sa onzième médaille d’or internationale, dont sept titres dans les catégories jeunesse. Au niveau élite, elle a remporté quatre titres lors d’événements majeurs : à Torun en 2021 (Européens indoor), à Chengdu en 2023 (World University Games), à Rome en 2024 (Européens en plein air) et maintenant à Apeldoorn. Chapeau bas !
Pendant le concours d’Angelica Moser, Annik Kälin se prépare pour son premier essai de la finale du saut en longueur. Vainqueur du concours de qualifications la veille avec un record suisse indoor égalé à 6,77 m, la Grisonne fait bien évidemment figure de favorite… avec l’Italienne Larissa Iapichino, les Allemandes Malaika Mihambo et Mikaelle Assani, la Néerlandaise Pauline Hondema, la Serbe Milica Gardasevic, l’Espagnole Fatima Diame et même la jeune Bulgare Plamena Mitkova. Toutes ces jeunes femmes bondissantes possèdent un talent incroyable et mériteraient une place sur le podium. Dans ce concours ouvert à souhait, l’idéal serait d’assommer d’entrée la concurrence et c’est exactement ce qu’Annik Kälin parvient à faire. Au bout d’une course d’élan plus rapide que jamais, son appel super précis la propulse dans les airs de l’Omnisport Apeldoorn. Bien aidée par un parfait gainage des abdominaux, son ramené la fait retomber très loin dans le sable. L’attente du résultat souvent longue vient cette fois-ci assez rapidement; et lorsqu’il tombe, Annik n’y croit pas : 6,90 m ! Les deux mains sur sa tête, bouche-bée, la Grisonne réalise qu’elle vient de frapper un coup énorme. Avec ce bond, Kälin établit un nouveau record suisse en salle, battu de 13 centimètres ! En tête de ce concours continental, la Suissesse confirme sa forme exceptionnelle lors du deuxième essai qui est mesuré à 6,85 m, alors que les autres en restent à 6,75 m, 6,73 m et 6,71 m. La troisième ronde d’essai est étonnante : toutes les athlète mordent, sauf Kälin qui retombe à 6,68 m et Iapichino qui lui vole la première place avec 6,94 m. Du coup, plus de calcul, il faut prendre des risques afin d’inverser la tendance. La quatrième tentative d’Annik est mordue, tout comme la cinquième qui, si elle avait passé, aurait fait se lever la salle entière. Bref, les dés sont jetés pour l’Italienne et la Suissesse après un ultime saut manqué. Le sursaut d’orgueil de Malaika Mihambo a failli gâcher la fête helvétique; mais heureusement l’Allemande a atterri à 6,88 m ! Angelica Moser, qui est en train de célébrer son titre, vient alors enlacer sa copine de chambre. Elle sait bien que, pour une fois, Annik n’a pas terminé au quatrième rang en manquant de fort peu le podium. Mais quel feu d’artifice on vit, ce n’est pas possible, on croit rêver !
Et pourtant non. Tout cela est bien réel et il est même venu le temps de vivre un nouvel exploit car le « Ehammer Time » est sur le point de sonner. On l’a dit, les 50 points d’avance qu’il possède face à Sander Skotheim ne devraient pas peser bien lourd. Pourtant Simon se doit de courir son 1000 m à fond, étant donné qu’un record suisse est en jeu et, corollaire en cas de succès, une montée en direction du sommet de la hiérarchie mondiale de tous les temps serait très intéressante. Tout se déroule comme imaginé : le Norvégien est déchaîné et il remporte la course en 2’32″72, ce qui lui permet de battre de 74 unités son propre record d’Europe avec 6’558 points. Derrière, Simon a tellement bien tenu le choc qu’il a réussi à améliorer son record de cinq secondes en 2’41″76. Cette bonne performance est hyper positive pour Ehammer, puisqu’il améliore son record suisse de 88 unités en le portant à 6’506 points; il a également battu l’ancien record d’Europe ! Un coup d’oeil au bilan mondial de tous les temps montre que Simon Ehammer pointe désormais au cinquième rang derrière Ashton Eaton (6’645 p), Kyle Garland (6’639 p), Sander Skotheim (6’558 p) et Ayden Owens-Delerme (6’518 p). L’Appenzellois devance que des tous grands noms du décathlon : Damian Warner (6’489 p), Kevin Mayer (6’479 p), Dan O’Brien (6’476 p), Roman Sebrle (6’438 p), Tomas Dvorak (6’424 p) et Christian Plaziat (6’418 p). Les afficionados apprécieront certainement ce merveilleux tableau de famille.
Quelle soirée historique pour l’athlétisme suisse : Angelica Moser a remporté l’or à la perche, Annik Kälin a décroché l’argent en longueur et Simon Ehammer s’est également paré d’argent à l’heptathlon, tout cela en 45 minutes de pure anthologie ! De plus, Moser a égalé le record suisse (4,80 m), alors que Kälin (6,90 m) et Ehammer (6’506 p) ont amélioré leur records nationaux. Comme Ditaji Kambundji avait déjà gagné l’or sur 60 m haies la veille, la Suisse se retrouve en tête du tableau des médailles à une journée de la fin de ces championnats d’Europe en salle. L’âge d’or de l’athlétisme helvétique est plus brillant que jamais; va-t-on se réveiller ? Ah non, on ne rêve pas…
Les sprinteuses foncent en demi-finales
La quatrième et dernière journée de ces championnats d’Europe en salle devrait permettre à l’équipe suisse de remporter encore une, voire deux médailles ! Les sprinteuses sont en lice à midi pour les séries du 60 m. Dans la première course, la rookie Emma van Camp (Lausanne-Sports) réalise une belle prestation en terminant cinquième en 7″25, à un petit centième d’une qualification directe pour les demi-finales. La jeune Valaisanne va devoir attendre une demi-heure pour connaître son sort et il sera favorable avec le deuxième des quatre meilleurs temps des viennent-ensuite. Dans la série suivante, Mujinga Kambundji (ST Bern) fait figure de grande favorite. Sa victoire en 7″19 montre qu’elle n’a pas forcé son talent, preuve en est son interview sur BBC 2, où la Bernoise avoue : «C’est bon, maintenant je suis réveillée». Dans la cinquième et ultime course, Géraldine Frey (LK Zug) s’accroche aux fusées que sont la Polonaise Ewa Swoboda et la Belge Rani Rosius et se qualifie brillamment avec une troisième place en 7″19.
Quatre heures plus tard, les trois Suissesses se retrouvent à nouveau sous les projecteurs pour les demi-finales. Dans la première, Mujinga Kambundji hausse son niveau de manière significative en gagnant la course en 7″04, juste devant la Luxembourgeoise Patrizia van der Weken qui améliore son record national en 7″06 et la Britannique qui monte Amy Hunt qui améliore son record en 7″09. La deuxième demi-finales voit Géraldine Frey réaliser le deuxième temps de sa carrière en 7″13. Malheureusement le niveau de ses adversaires est incroyable : l’Italienne Zaynab Dosso égale la meilleure performance européenne de Kambundji en 7″03, alors que Rani Rosius et la Tchèque Karolina Manasova battent leur records nationaux en 7″08 et 7″10. La sprinteuse d’Unterägeri de 27 ans termine quatrième, mais elle est évidemment très amère en devenant la première non-qualifiée : «J’ai encore raté la finale, mais je continue». En effet, en courant en 7″13, la Zougoise a obtenu la limite pour les championnats du monde à Nankin, ce qui est une belle récompense. Enfin Emma van Camp a confirmé ses excellents progrès en terminant au sixième rang de sa demi-finale en 7″24. La recordwoman suisse U23 en salle a terminé ses premiers championnats d’Europe indoor au 18e rang.
La réussite fuit les Suissesses en finale du 800 m
La finale du 800 m, très ouverte, est forcément porteuse des espoirs les plus fous pour le clan suisse. Pourtant dans ce genre de course, sur un tourniquet de 200 m, on sait que cela peut souvent frotter sévère entre les athlètes. Dès le début, les deux Suissesses veulent se prémunir de ces contacts potentiels et prennent la tête avec Rachel Pellaud devant Audrey Werro. Au tour suivant, la Polonaise Anna Wielgosz et la Slovène Anita Horvat prennent le lead, alors qu’une bousculade se produit entre les deux Suissesses. Le rythme s’intensifie au moment de la cloche. Audrey passe Rachel et se lance à l’attaque des trois premières. Sa ligne opposée montre que la Fribourgeoise est en mode « à plein gaz ». Mais soudain, à l’amorce du dernier virage, c’est la stupeur : Audrey Werro se retrouve au tapis, sans qu’il n’y ait eu le moindre contact avec une adversaire ! Rachel Pellaud court en cinquième position et, malgré de gros efforts pour revenir, elle ne parvient pas à grapiller la moindre place. Le momentum de cette finale a donc complètement échappé aux deux Suissesses avec Rachel Pellaud 5e en 2’03″87 et Audrey Werro 6e en 2’27″37. En pleurs, la jeune et talentueuse coureuse du CA Belfaux est tout de suite réconfortée par sa coéquipière. Le coup est rude, assurément. Car il ne fait aucun doute que le destin d’Audrey Werro aurait dû la mener vers l’une des places du podium. Mais à 21 ans, la recordwoman suisse du 800 m (1’57″76 l’an dernier à Bellinzone) aura d’autres belles occasions de s’illustrer au haut niveau international, à l’image de ce qu’elle a déjà pu brillamment réaliser au cours de ses années jeunesse. Quant à Rachel Pellaud, elle a prouvé à 30 ans qu’elle est au bénéfice de la plénitude de ses moyens. À elle d’en profiter lors des prochains championnats du monde en salle à Nankin; l’enchainement semble parfait pour elle.
Une dixième médaille internationale pour Mujinga Kambundji !
Le dernier feu d’artifice de l’athlétisme suisse à Apeldoorn est bien évidemment à venir des jambes ultra véloces de Mujinga Kambundji. Mais la finale du 60 m s’annonce d’un niveau totalement inédit en Europe : Songez que pour obtenir son sésame, il fallait courir en 7″12 ou moins ! Comme d’habitude, la tension est à son top au moment où les sprinteuses s’installent dans leurs starting-blocks. À la position « prêt », Mujinga bouge légèrement et provoque un faux-départ. Un rictus sur le visage de la Bernoise vient trahir le doute qui la submerge soudainement. Du coup, c’est à cet instant qu’on se remémore le faux-départ de Zaynab Dosso lors des séries disputées six heures plus tôt. Si l’Italienne avait pu passer entre les gouttes avec un temps de réaction de 0″082, Mujinga devrait bénéficier de la clémence des juges. Après de longues secondes d’attente, c’est effectivement le carton jaune qui lui est brandi. Ouf, le boulet est quand même passé tout prêt. À la deuxième tentative, le départ s’est bien passé et la Bernoise a pu jaillir de ses blocks. Rapidement à pleine vitesse, la tenante du titre excelle dans cet exercice, mais en effectuant son cassé sur la ligne d’arrivée, elle devine sur sa droite que Dosso a elle aussi couru très efficacement. Le verdict du chrono est sans appel : 7″01 pour l’Italienne – meilleure performance mondiale de l’année – et 7″02 pour la Suissesse, soit le troisième chrono de sa carrière après ceux de ses victoires aux Mondiaux indoor à Belgrade en 2022 (6″96) et aux Européens indoor à Istanbul en 2023 (7″00). Privée de victoire, la sprinteuse du STB garde le sourire en zone mixte : «Oui je suis un peu déçue de ne pas avoir gagné. Mais une médaille ça reste une médaille et même si j’en ai eu je ne sais plus combien, je suis contente». On rafraîchit donc la mémoire de la star de l’athlétisme suisse : c’est sa dixième sur le plan international, ce qui fait d’elle l’athlète suisse la plus performante de tous les temps.
L’athlétisme suisse décroche la quatrième place au tableau des médailles
Grâce aux deux médailles d’or remportées par Ditaji Kambundji au 60 m haies (7″67, record d’Europe indoor) et par Angelica Moser à la perche (4,80 m, record suisse indoor égalé), ainsi qu’aux trois médailles d’argent décrochés par Mujinga Kambundji au 60 m (7″02, 2e perf mondiale de l’année), par Annik Kälin en longueur (6,90 m, record suisse indoor) et par Simon Ehammer à l’heptathlon (6’506 points, record suisse indoor), la Suisse occupe la quatrième place au tableau des médailles derrière les Pays-Bas, l’Italie et la Norvège. L’équipe de Swiss Athletics égale ainsi le fameux bilan de cinq médailles remportées lors des championnats d’Europe en salle en 1984 à Göteborg. Au Scandinavium, la Suisse avait été reçue 5 sur 5 avec le titre de Peter Wirz sur 1500 m (3’41″35), les médailles d’argent de Markus Ryffel sur 3000 m (7’53″61), de Roland Dalhäuser en hauteur (2,30 m) et de Werner Günthör au poids (20,33 m, record suisse indoor), ainsi que la médaille de bronze de Sandra Gasser sur 1500 m (4’11″70, record suisse indoor). De ces deux générations, peut-on choisir la plus fameuse ? Impossible !