ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE WERNER GÜNTHÖR / EPISODE 4 | Au début des années '80, un jeune lanceur du TV Uttwil nommé Werner Günthör décide de quitter le Bodensee pour s'entraîner à Macolin, où il est pris en charge par Jean-Pierre Egger. C'est le début d'une fantastique histoire qui va conduire le Thurgovien au firmament du lancer du poids mondial. ATHLE.ch VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle du chercheur d'or le plus prolifique de l'Histoire de l'athlétisme suisse. Le quatrième des vingt épisodes de cette biographie est consacré à la saison 1983 qui permet à Werner Günthör de se connecter avec le niveau mondial.

La préparation de Werner Günthör reprend de plus belle en automne 1982 à Macolin. Les rouages complexes mis en place par Jean-Pierre Egger fonctionnent bien. Le Thurgovien s’astreint à un programme biquotidien, dont une journée d’entraînement normale, après le massage, dure de 9:30 à 11:30 et de 14:00 à 17:00. Il s’agit en fait d’un camp d’entraînement… permanant ! En vue d’une formation ultérieure en tant qu’enseignant de sport, Werner suit également des cours de français. Il montre aussi un intérêt pour le sport en général, joue un peu au tennis ou au volleyball.
La saison 1983 de Werner Günthör est importante car sa rigoureuse préparation doit lui permettre de réaliser de nouveaux bonds en avant. L’objectif principal reste avant tout une amélioration des qualités physiques et techniques. Mais au vu des 17,51 m réussis en salle l’an dernier, il est fort raisonnable de penser que Werner Günthör va être ensuite capable d’envoyer son poids de plus en plus loin. Ainsi, dans l’ordre des priorités, les championnats d’Europe en salle à Budapest représentent un premier but très intéressant à viser. Ensuite, mais si tout va vraiment bien, les championnats du monde à Helsinki pourraient se profiler à l’horizon. Pour cela il faudra réaliser un gros coup d’éclat en approchant le plus possible la ligne des vingt mètres; sait-on jamais ?
La saison en salle 1983 se résume en trois étapes, dont deux se déroulent du côté de Macolin. En cas de succès, à savoir l’obtention d’une limite européenne (fixée à 18,00 m), Werner pourra prendre part à la troisième de ces étapes, celle qui représenterait sa toute première grande compétition internationale : les championnats d’Europe en salle à Budapest. Le 6 février, le meeting en salle de la GGB montre une belle approche de l’objectif avec un joli 17,67 m qui lui permet d’améliorer son record personnel en salle de seize centimètres. Un bout du chemin en direction de la capitale hongroise est fait. La partie décisive doit donc se dérouler deux semaines plus tard, le 20 février à l’occasion des championnats suisses en salle à Macolin. Avec un jet mesuré à 18,01 m, Günthör valide – de peu – mais brillamment sa qualification pour Budapest. Il fait partie d’une petite équipe helvétique qui débarque le jeudi 3 mars en Hongrie. Hélas Werner doit renoncer à participer au concours du lancer du poids après s’être fait une blessure à un doigt lors de l’entraînement du vendredi matin. C’est une belle tuile pour le lanceur Thurgovien, qui se réjouissait grandement de cette première expérience au niveau européen. Il pourra se consoler d’avoir tout de même réalisé cet hiver son premier objectif de la saison en atteignant pour la première fois de sa carrière la ligne des dix-huit mètres. C’est déjà ça, même si on aurait voulu voir Werner terminer son exercice indoor jusqu’au bout. Après une période de soins, la préparation bat à nouveau son plein. La saison en plein air semble prometteuse au vu de l’amélioration constatée lors des compétitions de Macolin. Mais le challenge imaginé par Jean-Pierre Egger pour son protégé va cependant être fort ardu.

En quête des minimas pour les championnats du monde
Helsinki. Ce mot revient certainement de manière régulière dans les conversations du duo. C’est tout à fait normal, voire légitime, surtout après avoir vécu les premières compétitions en plein air : tout commence le 12 mai à Küsnacht, lors du traditionnel meeting de l’Ascension. En projetant son engin à 18,18 m, Werner Günthör pulvérise sa meilleure performance en plein air de 1,04 m et ajoute dix-sept centimètres à son record absolu de 18,01 m réalisé à Macolin. Il s’agit là de la troisième performance suisse de tous les temps derrière le record suisse à 20,25 m établi en 1979 à Neuchâtel par son entraîneur Jean-Pierre Egger et les 19,34 m réussis par Edy Hubacher en 1970 à Olsztyn. Le 21 mai à Weinfelden, cette réunion nationale sert de sélection pour le match des lancers à venir dans quinze jours à Salzbourg. Le concours du lancer du poids est du coup le plus attendu par les observateurs, qui commencent à comprendre, eux aussi, que les qualités de ce jeune mais solide Thurgovien sont énormes. Ils ne vont pas être déçus car Werner est dans une telle forme ce jour-là, qu’il pulvérise une nouvelle fois son record personnel en expédiant son poids à 19,04 m. Les huitante six centimètres ainsi gagnés le font s’approcher à grands pas des 19,40 m, la limite de qualification B pour les championnats du monde d’Helsinki. Il ne faut pas attendre longtemps pour voir une des tentatives de Günthör franchir cette ligne. Le 4 juin à Salzbourg, à l’occasion d’un match opposant les lanceurs français, autrichiens, espagnols et suisses, Günthör parvient à la dépasser d’un centimètre en envoyant son poids à 19,41 m. Cette nouvelle étape vers les sommets avait été prévue par Jean-Pierre Egger, mais l’entraîneur se montre tout de même étonné par la soudaineté de cette performance : «C’est la deuxième fois qu’il dépasse les dix-neuf mètres cette saison. Je ne pensais pas que ses progrès se concrétiseraient aussi rapidement. Il ne faut pas oublier qu’il n’en était qu’à 17,51 m l’année dernière. Il a pris beaucoup d’assurance et s’est énormément stabilisé au plan psychique au cours de l’hiver. Je suis certain que c’est la première raison qui explique son énorme bond en avant». Le Thurgovien de 22 ans, 2 m pour 117 kg, fait dès lors la joie des journalistes, qui voient en lui l’espoir qu’ils n’attendaient pas de sitôt. Cette limite atteinte pour Helsinki doit maintenant permettre au lanceur du STB de s’exprimer avec un meilleur relâchement. Ce n’est pas forcément visible le 11 juin à Bâle avec 18,56 m, ni la semaine suivante à Lappeenranta avec l’équipe nationale face aux finlandais et une deuxième garniture anglaise. Au pays où le javelot est roi, Werner Günthör termine troisième du poids avec 18,89 m. La confirmation attendue finit par venir le 2 juillet à Thionville où Werner remporte la victoire lors d’un match quadrangulaire mettant aux prises les lanceurs des équipes d’Allemagne de l’Ouest, de France, d’Espagne et de Suisse. En établissant un nouveau record à 19,52 m, il atteint pour la deuxième fois cette saison la limite B pour Helsinki. Après avoir définitivement pris la mesure d’Edy Hubacher, voilà maintenant que l’élève Günthör se rapproche de son maître Jean-Pierre Egger : 73 centimètres séparent désormais les deux athlètes, contre 2,74 m il y a une année !

Préparation pour Helsinki
Le volcan Thurgovien gronde de plus en plus. Afin de canaliser une irruption imminente, Egger retire son poulain vers leur QG de Macolin, histoire de peaufiner la préparation en vue des trois prochaines compétitions les plus importantes de la saison, à savoir les championnats suisses simples à Frauenfeld, le meeting international de Berne et bien sûr les championnats du monde à Helsinki. Werner Günthör reprend donc la compétition le 24 juillet lors des championnats suisses simples à Frauenfeld. Désormais nettement haut-dessus du lot, la question n’est plus de savoir s’il va remporter le titre national, mais bien de savoir avec quelle performance il va triompher. Sur ses terres, le Thurgovien l’emporte avec 18,71 m et une avance de 2,29 m sur le lanceur local Hansruedi Stäheli (STV Frauenfeld). Il peut également mesurer sa nouvelle notoriété auprès des jeunes chasseurs d’autographes. Le 29 juillet à Berne, un meeting international est organisé pour inaugurer la nouvelle piste en synthétique du stade du Neufeld. Ce haut-lieu de l’athlétisme suisse va certainement pouvoir revivre de grandes heures, similaires à celles vécues vingt-neuf ans plus tôt lors des championnats d’Europe. C’est Werner Günthör qui est le premier athlète à faire bondir le public comme au bon vieux temps. En effet à son quatrième essai, le champion suisse réussit un magnifique jet mesuré à… 20,01 m ! En améliorant de quarante-neuf centimètres sa meilleure performance personnelle, Günthör se rapproche ainsi toujours plus des 20,25 m records de son entraîneur. Quelle progression depuis les championnats suisses en salle cet hiver où il avait lancé un très remarqué 18,01 m. Le voilà, cinq mois plus tard, pile deux mètres plus loin !

Les championnats du monde 1983 à Helsinki
Les premiers championnats du monde ont lieu du 7 au 14 août 1983 à Helsinki en Finlande. Oui, il a fallu attendre 1983 pour que l’athlétisme évolue enfin vers un rendez-vous de format mondial autre que les Jeux Olympiques. Certes il y a depuis 1977 la Coupe du Monde, mais cette compétition par équipes continentales ne concerne que très peu d’athlètes. Cette réforme, on la doit au Président de l’I.A.A.F., l’Italien Primo Nebiolo, en poste depuis 1981. Bravo à lui pour cette initiative, logique, mais qu’il fallait mettre en place dans un monde athlétique relativement conservateur. Voici donc les premiers championnats du monde d’athlétisme et on ne va pas bouder notre plaisir car pratiquement toutes les stars du sport olympique N° 1sont présentes en Finlande. En tête Carl Lewis, le phénomène Américain qui aspire à égaler Jesse Owens en obtenant lui aussi quatre médailles lors des Jeux Olympiques dans un an à Los Angeles. À Helsinki, Lewis fait main basse sur le 100 m, la longueur et le 4 x 100 m, mais il renonce à participer au 200 m, prétextant qu’il faisait un peu froid. Il veut simplement réserver l’exploit des quatre médailles d’or pour les Jeux Olympiques, soit dans un cadre bien plus prestigieux que ces championnats du monde naissants. Dimanche 7 août 1983, 1355 participants, venant de 153 nations, défilent dans le stade qui avait accueilli les Jeux Olympiques en 1952. À l’ombre de la tour de 72,71 m de haut (symbolisant la longueur du lancer qui avait permis au finlandais Matti Järvinen de remporter le titre olympique du javelot en 1932 à Los Angeles), c’est le Président Mauno Koivisto qui a l’insigne honneur de déclarer les premiers championnats du monde d’athlétisme ouverts. La Fédération Suisse d’Athlétisme (F.S.A) a sélectionné quinze athlètes pour cette compétition, dont Werner Günthör. À Otaniemi où la délégation suisse est logée, une conversation récurrente anime les rangs helvétiques : la sévérité des qualifications des concours qui effraient les principaux intéressés. Le jury a en effet placé la barre à de belles altitudes. Pour Werner Günthör, cette préoccupation est vraiment d’actualité puisqu’il est en lice le premier jour de compétition déjà. Le deuxième lanceur de poids suisse à plus de vingt mètres recherche la qualification pour la finale, mais son jet de 19,18 m – et bien il corresponde au quatrième meilleur résultat de sa carrière – n’est pas suffisant pour lui faire passer sans encombre le cap. Il se classe au quinzième rang de ces qualifications. En finale, c’est le Polonais Edward Sarul qui devient champion du monde avec 21,39 m réussis à son ultime essai. L’Allemand de l’Est Ulf Timmermann décroche l’argent avec 21,16 m, alors que c’est le Tchécoslovaque Remigius Machura qui se pare de bronze avec 20,98 m. Derrière, les meilleurs mondiaux sont également présents : l’Américain Dave Laut avec 20,60 m, le Soviétique Janis Bojars avec 20,32 m, le recordman du monde Allemand de l’Est Udo Beyer (22,22 m le 25 juin dernier à Los Angeles) avec 20,09 m et l’Italien Alessandro Andrei avec 20,07 m. Encore un peu tendre pour rivaliser avec ces gros bras, Werner Günthör est assurément un athlète plein d’avenir et nul doute que cette première expérience au niveau mondial va le galvaniser pour la suite de sa carrière, dont les Jeux Olympiques de 1984 à Los Angeles représentent son prochain grand objectif.
Bien que la principale compétition de la saison se soit maintenant déroulée, il n’est pourtant pas question pour Werner d’en rester là. Au cours de la demi-dizaine de compétitions qui lui restent encore à disputer, il va pouvoir profiter de sa bonne forme pour rehausser le niveau moyen de ses performances. Il n’a que peu de répit après les championnats du monde puisque le 20 août a lieu à Prague la Coupe d’Europe. Werner Günthör provoque là-bas une belle surprise en remportant l’unique victoire helvétique en expédiant son poids à 19,92 m lors de son dernier essai. Cette jolie performance le laisse à neuf centimètres seulement de son record personnel. À noter que dans ce concours du poids, le Tchécoslovaque Remigius Machura – troisième des championnats du monde à Helsinki – n’était pas présent car il a été suspendu pour s’être signé avant chacun de ses essais en Finlande ! Werner, de son côté, continue une petite tournée qui passe le 27 août par Yverdon où l’on fête là-bas le quarantième anniversaire de la construction du stade l’USY. Il réussit en démonstration un jet à 18,78 m. Il enchaîne ensuite, le 31 août, avec le meeting international de Coblence qui lui donne une performance quasiment similaire à celle réalisée dans le Nord Vaudois : 18,72 m. Il termine la saison 1983 avec la finale des championnats suisses interclubs à Berne. Les conditions météo ne sont pas terribles ce jour-là car la pluie, le froid et même parfois un vent de tempête perturbe la compétition. Werner, dont c’est la première finale CSI, donne de très gros points à son club grâce à ses 18,89 m au poids et ses 48,12 m au disque, un engin qu’il n’avait plus lancé en compétition depuis 1979. Enfin il conclut cette belle saison le 29 septembre par un meeting à Cagliari. En Sardaigne, le Thurgovien termine en beauté en réussissant un bon 19,09 m.

PAB

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