TIMELINE | L’épopée des athlètes suisses aux championnats du monde | Paris 2003 Pour les athlètes suisses, atteindre la limite pour les championnats du monde représente une sorte de Saint Graal car cette compétition est assurément l'un des deux summums de l'athlétisme mondial. ATHLE.ch «VINTAGE propose de revivre en détail l'épopée des athlètes suisses au cours des dix-neuf éditions de ces Mondiaux. La neuvième édition des championnats du monde s'est disputée du 23 au 31 août 2003 à Paris.

Le discours de Peter Schläpfer d’il y a deux ans à Edmonton ne s’est de loin pas vérifié. Aux championnats d’Europe à Munich, André Bucher a été l’arbre qui a caché une forêt défrichée. Avec neuf autres athlètes, loin du top niveau continental, le bilan général a été catastrophique. Pire, pour ces championnats du monde 2003 à Paris, ils ne sont que huit à avoir pu se qualifier, avec André Bucher en chef de file mais nettement moins fort qu’en 2001. Conscient que l’athlétisme suisse se trouve au creux de la vague, le directeur technique de la F.S.A. (contesté et en fin de règne) a supplié Jean-Pierre Egger de venir l’aider en tant que chef des coachs, avec pour mission de remonter le moral des troupes. Au lendemain du troisième titre mondial de Werner Günthör en 1993, l’entraîneur Neuchâtelois s’était éloigné de l’athlétisme, en s’occupant de football (Grasshoppers et l’Olympique de Marseille), de basketball (France), de saut à ski (Simon Ammann) et de yachting (Alinghi).

Un début de compétition satisfaisant
Le parcours de l’équipe suisse débute le samedi 23 août avec l’entrée en lice de trois athlètes. Tôt le matin, Sylvie Dufour (ST Bern) est en lice pour la première épreuve de son heptathlon. Néophyte à ce niveau de compétition, la Vaudoise doit sa sélection grâce à son excellent total de 6’033 points (13″74 – 1,75 m – 13,81 m – 24″86 | 5,82 m – 41,59 m – 2’12″27) réussis au début du mois de juillet à Maribor; il s’agit de la deuxième performance suisse de tous les temps derrière les 6’265 points de Corinne Schneider. Elle s’est levée à 4:30, pleine d’envie, et la voilà au départ du 100 m haies à 8:45. Malgré cet horaire contraignant, Sylvie réussit une relative bonne entrée en matière avec 14″08. Elle enchaîne avec une contre-performance en hauteur avec 1,67 m seulement, alors qu’elle avait sauté dix centimètres plus haut il y a quinze jours à Baden. Déçue et fâchée d’avoir été bloquée par la nervosité, elle termine sa première journée avec 13,34 m au poids et 25″24 au 200 m, soit à la 21e et dernière place.
En fin d’après-midi, lors des qualifications du saut en hauteur, Martin Stauffer (LC Zürich) se doit de franchir 2,29 m ou de finir parmi les douze premiers pour se qualifier pour la finale; une mission quasiment impossible pour le Biennois. Excellent au début du mois de juin à Herzogenbuchsee avec un superbe record personnel à 2,27 m, il ne s’est depuis plus approché de cette hauteur. Son concours au stade de France est pourtant limpide avec des barres à 2,15 m, 2,20 m et 2,25 m franchies au premier essai. À 2,27 m, en cas de succès au premier ou au deuxième essai, la finale s’offrirait à lui comme un fruit mûr. Hélas il a dû subir trois échecs, mais l’une de ses tentatives a fait mine d’être franchie, avant que la barre ne tombe et avec elle tous ses espoirs : «Cela tient parfois à si peu. C’est dommage car j’ai disputé là mon meilleur concours international. Je suis content de mon 16e rang».
Sur 800 m, Anita Brägger (ST Bern) fait parler son expérience acquise à Séville et à Edmonton pour gérer magnifiquement sa série du 800 m. Alors que ce ne sont que les trois premières qui passent à la place, elle a réussi à s’en sortir au terme d’une ligne droite épique où six athlètes ont franchi la ligne d’arrivée dans un mouchoir de poche. Deuxième en 2’01″09 derrière la Mozambicaine Tina Paulino, la Lucernoise a donc bien joué le coup : «Pour une fois, j’ai essayé d’être méchante. Je me suis montrée patiente car je savais qu’il y aurait une porte qui s’ouvre dans la dernière ligne droite. J’en ai trouvé une et je m’y suis engouffrée grâce à ma vitesse terminale qui a bien progressé ces derniers temps».
Dimanche 24 août, Sylvie Dufour prend part à la seconde journée de son heptathlon. Elle se montre assez satisfaite de ses performances : 5,62 m en longueur, 39,83 m au javelot et 2’12″77 au 800 m. Son total de 5’723 points est loin de son record. Classée 18e, elle gardera en mémoire son dernier tour du 800 m où elle a eu des frissons. À distance, elle a également apprécié le superbe duel qui a opposé la Suédoise Carolina Klüft à la Française Eunice Barber : «Elles évoluent sur une autre planète. Moi, j’ai découvert un nouveau monde et j’ai beaucoup appris».
Les demi-finales du 800 m sont au nombre de trois et seules les deux premières de chaque série plus les deux meilleurs temps peuvent prétendre à la finale. Anita Brägger se retrouve dans la troisième course, qui part sur un tempo nettement plus lent que les deux premières. Au moment de l’emballage final, l’Uranaise ne parvient pas à s’illustrer et elle termine au septième rang en 2’02″34, soit la 21e place de ce 800 m mondial : «Tactiquement, je n’ai pas eu la même aisance que la veille. Dans une course plus rapide, j’aurais eu les jambes pour défendre mes chances. Mais là, j’ai manqué de force au moment du sprint final».

Cédric El-Idrissi et Julien Fivaz ne passent pas le cut
Mardi 26 août, Cédric El-Idrissi (ST Bern) est au départ de son 400 m haies. Avec son record personnel de 49″10 réussi lors des championnats suisses à Frauenfeld, il pourrait facilement se qualifier pour les demi-finales. Comme prévu, il passe les cinq premières haies en quatorze foulées et les cinq autres en quinze. Tout irait bien pour lui si le verdict du chrono n’était sans pitié. Cinquième de sa série en 50″04, loin derrière le Dominicain Felix Sanchez (48″43), El-Idrissi ne disputera pas les demi-finales : «Je ne peux pas être entièrement satisfait. Il faudra que j’analyse mon tour de piste. Techniquement j’ai un peu pioché sur les trois dernières haies en les attaquant de trop près. En un an, j’ai battu mon record de près de deux secondes. J’ai longtemps couru après la limite de qualification et ça m’a coûté de l’énergie».
Vingt-quatre jours après son retentissant exploit d’Ebensee au saut en longueur, Julien Fivaz (SEP Olympic La Chaux-de-Fonds) espère pouvoir retrouver la grâce et l’inspiration qui lui avaient permis de sauter à un fabuleux 8,27 m. Il est vrai que ce record suisse battu de treize centimètres avait fait sensation car il représente actuellement la huitième performance mondiale de la saison. À Paris, la situation n’est hélas pas vraiment la même qu’en Autriche. Le vent est tourbillonnant pour les qualifications et il va jouer des tours à bien des sauteurs. Pour le Neuchâtelois, le scénario vire au cauchemar avec un premier essai mesuré à 7,25 m (-1,2 m/s) et un deuxième à 7,37 m (-0,4 m/s). Le dos au mur, il décide de prendre tous les risques, mais il mord son ultime tentative, qui avait peut-être bien le poids d’une qualification pour la finale. Classé au 32e rang avec 7,37 m, Julien s’en veut d’avoir flanché en pareilles circonstances : «C’est sûr, ça fait un peu désordre. J’ai la rage car je crois bien que mon dernier essai aurait pu me qualifier. Le problème est que j’ai tapé la piste au lieu de la griffer; je n’étais pas assez fluide». Pour sa défense, d’autres sauteurs de renom n’ont pas réussi à passer l’écueil : le Cubain Ivan Pedroso a mordu son premier essai et il s’est surtout blessé à un pied, mais aussi l’Américain Savanté Stringfellow (8,46 m cette année) et le Caïmanien Kareem Streete-Thompson. Du coup, Fivaz ironise tristement : «Je suis bien accompagné…».

Christian Belz en finale, mais pas André Bucher !
Le jeudi 28 août est une journée importante pour le camp suisse avec l’entrée en lice de Christian Belz (ST Bern) sur 5000 m et d’André Bucher (LR Beromünster) sur 800 m. Il y a un mois de cela, le Bernois avait réussi 13’12″16 lors d’Athletissima, réussissant ainsi sa seconde limite après celle du 3000 m steeple. À l’heure du choix, il avait opté pour le 5000 m et ce fut apparemment judicieux. Au terme d’une course intelligente, Belz s’est brillamment qualifié pour la finale en prenant la septième place de sa série en 13’36″54. Sa tactique a été la bonne en prenant le commandement durant un kilomètre afin d’imprimer un rythme rapide : «On connaissait le chrono de la série précédente. Si je voulais me qualifier, il fallait que je me montre agressif, que je prenne des initiatives le plus tôt possible. On nous reproche souvent, nous les p’tits Suisses, de manquer d’agressivité. Aujourd’hui, j’ai agi et ça a passé».
De son côté, André Bucher est attendu non seulement par les supporters helvétique, mais également par ses adversaires. Longtemps stoppé dans son élan par une fracture de fatigue tenace, le Lucernois s’interroge sur son niveau de compétitivité. Il est vrai que sa dernière course lors de Weltklasse ne l’avait pas laissé avec les meilleurs sentiments. En retrouvant le Danois Wilson Kipketer dès les séries, le champion du monde en titre est vite fixé car, dans sa foulée, il n’a pas éprouvé le moindre problème dans la dernière ligne droite. Qualifié à la place en 1’48″61, André Bucher s’est pleinement rassuré et clame que tout est sous contrôle.
Le lendemain, les demi-finales promettent d’être fort disputées. Dans la première, le Russe Youryi Borzakoskiy et Wilson Kipketer passent fort logiquement, devant le Kenyan Justus Kock et le Brésilien Osmar Barbosa qui réalisent 1’46″04 et 1’46″07, soit les chronos de référence à battre pour passer en finale au temps. Dans la deuxième course, le rythme du premier tour est beaucoup trop lent. André Bucher passe à la cloche en tête en 53″12 seulement, ce qui laisse présager un finish très nerveux. À ce jeu-là, il n’y a pas eu de miracle : le Lucernois s’est fait déborder dans la ligne droite d’abord par le Sud-Africain Mbulaeni Mulaudzi et l’Algérien Djabir Saïd-Guerni, mais également par l’Éthiopien Berhanu Alemu et le Néerlandais Bram Som. Classé cinquième de cette demi-finale en 1’46″67, le champion du monde ne pourra donc pas défendre son titre dimanche prochain. Voilà un échec sévère et l’intéressé ne cache pas son immense dépit : «C’est un an de travail qui s’écroule. Il aurait été préférable que quelqu’un d’autre que moi mène la course. J’avais les jambes lourdes et j’ai vite compris que ce serait dur, très dur. Il aurait fallu réaliser le même sprint qu’hier, mais je n’avais plus de forces». Après deux saisons perturbées par des blessures, le miracle n’a pas eu lieu à Saint-Denis. La perte de son titre de champion du monde pourra peut-être le relancer; mais pour l’heure, les ailes de l’albatros de Neudorf sont prises dans la tempête avec une onzième place mondiale fort décevante pour lui et ses nombreux supporters.

L’excellent marathon de Viktor Röthlin
Samedi 30 août, huitante-neuf coureurs se sont rassemblés près de la Place de l’Hôtel-de-Ville afin de disputer le marathon de ces championnats du monde. Parmi eux, le Suisse Viktor Röthlin (TV Alpnach) qui ne cache pas son objectif de terminer parmi les trente premiers. Après quelques minutes de course, un premier incident se déroule avec la chute d’un Tanzanien. En se rappelant sa semblable mésaventure de l’an dernier à Munich, l’Obwaldien décide de se porter au commandement de la course. Il mène le bal durant de longues minutes et trouve ainsi un rythme qui lui correspond entièrement. Il laisse ensuite le soin aux favoris de dicter une nouvelle allure, tout en s’assurant de continuer sur son excellent début de course. Dix-neuvième après 10 km, dix-septième au 15e, trente-troisième à mi-course et vingt-huitième au 30e kilomètre, voilà Röthlin sur les bonnes voies pour concrétiser son objectif. Renseigné par son coach, le coureur d’Alpnach effectue une fin de course tout à fait exceptionnelle en passant au 35e km en dix-huitième position et en terminant au stade de France à la quatorzième place en 2:11’14, à 2’43 du vainqueur, le Marocain Jaouad Gharib. Le regard fixé sur les Jeux Olympiques d’Athènes, l’Obwaldien peut être serein grâce à cette course de Paris, assurément la meilleure de sa carrière intrinsèquement parlant.
Son partenaire d’entraînement à Saint-Moritz, le Bernois Christian Belz a clos les feux le 31 août en prenant part à la finale du 5000 m qu’on peut qualifier d’anthologique avec les six premiers qui descendent sous les treize minutes. Loin des stars que sont le Kenyan Eliud Kipchoge (12’52″79), le Marocain Hicham El Guerrouj (12’52″83) et l’Éthiopien Kenenisa Bekele (12’53″13), Christian Belz n’a pourtant pas démérité. Sa treizième place en 13’26″02 laisse entrevoir de belles perspectives pour la suite de sa trajectoire et du coup il est fort probable qu’il laisse tomber définitivement le 3000 m steeple.

La Suisse devrait s’inspirer de l’exemple suédois
À l’heure du bilan de ces championnats du monde, il faut bien avouer que la F.S.A. fait grise mine. André Bucher est tombé de son piédestal du 800 m et c’est tout l’athlétisme qui se trouve à terre. Cette image caricaturale fait bien sûr injure aux excellentes prestations de Viktor Röthlin au marathon et de Christian Belz au 5000 m. Peter Schläpfer s’apprête à quitter son poste de directeur technique de la fédération suisse, ce qui semble être une bonne aubaine pour que l’athlétisme suisse change radicalement de cap. En se cachant derrière les succès d’André Bucher, le technicien Appenzellois a fait fausse route en menant son bateau au creux de la vague. La reconstruction va être certainement longue, mais pour commencer il faudra trouver les personnes capables de mettre le chantier sur des bases solides. Nos meilleurs athlètes doivent également faire office de piliers pour soutenir le travail en profondeur qu’il faudrait mettre en œuvre. C’est en engendrant des champions que la Suède est sortie d’une grosse crise et qui vit actuellement un formidable renouveau. C’est un exemple à suivre, mais la Suisse a-t-elle les moyens de s’en inspirer ? Pour Peter Schläpfer, c’est d’abord et essentiellement un problème de volonté politique car ces deux fédérations se ressemblent beaucoup sur le plan structurel et financier (4,5 millions de budget). La différence réside par le fait que les Suédois bénéficient de nombreuses écoles spécialisées, encadrées par des entraîneurs professionnels payés par l’état. Chez nous, il faudrait que l’administration fédérale, l’armée ou les universités se mettent vraiment en piste. Un vœux pieux ?

THG, EPO, nandrolone ou modafinil : la chute de l’athlétisme mondial !
Au fil du temps, les classements de quinze disciplines de ces championnats du monde de Paris vont être profondément chamboulés car il s’est avéré que pas moins de onze athlètes avaient enfreint les règles antidopage. On parle de THG, d’EPO, de nandrolone ou de modafinil et on a dû constater après coup que l’athlétisme mondial avait plongé en ce début de millénaire dans le marais du dopage encore plus obscure qu’imaginé. Le symbole de cette déchéance, c’est l’Américaine Kelli White, double championne du monde du 100 m et du 200 m, qui a dû rendre ses deux médailles d’or en 2005 suite à ses aveux. Avec elle, sept autres Américains, un Britannique, un Français et une Ukrainienne ont fini par tomber. Quand on cite les noms, ça fait vraiment froid dans le dos : Tim Montgomery, Jerome Young, Calvin Harrison, Chris Phillips, Kevin Toth, Regina Jacobs, Melissa Price, Dwain Chambers, Fouad Chouki et Zhana Block. Il faudra attendre 2011 pour que le palmarès de ces championnats du monde de Paris soit définitivement entériné !

PAB

Résultats

Hommes
800 m : 11. André Bucher (LR Beromünster) 1’48″61 en séries et 1’46″67 en demi-finales
5000 m : 13. Christian Belz (ST Bern) 13’26″02 / 13’36″54 en séries
400 m haies : 26. Cédric El-Idrissi (ST Bern) 50″04 en séries
Hauteur : 16. Martin Stauffer (LC Zürich) 2,25 m en qualifications
Longueur : 32. Julien Fivaz (SEP Olympic) 7,37 m en qualifications
Marathon : 14. Viktor Röthlin (TV Alpnach) 2:11’14
Femmes
800 m : 21. Anita Brägger (ST Bern) 2’01″09 en séries et 2’02″34 en demi-finales
Heptathlon : 18. Sylvie Dufour (ST Bern) 5’723 p
(14″08 – 1,67 m – 13,34 m – 25″24 | 5,62 m – 39,83 m – 2’12″77)

 

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