TIMELINE | L’épopée des athlètes suisses aux championnats du monde | Rome 1987 Pour les athlètes suisses, atteindre la limite pour les championnats du monde représente une sorte de Saint Graal car cette compétition est assurément l'un des deux summums de l'athlétisme mondial. ATHLE.ch «VINTAGE propose de revivre en détail l'épopée des athlètes suisses au cours des dix-neuf éditions de ces Mondiaux. La deuxième édition des championnats du monde s'est disputée du 28 août au 6 septembre 1987 à Rome.

Les deuxièmes championnats du monde se déroulent du 28 août au 6 septembre 1987 à Rome. Plus de 1’400 athlètes issus de 156 nations sont aux prises au stadio Olimpico. Il y a quatre ans à Helsinki, la délégation suisse était rentrée bredouille de sa première campagne mondiale. Seuls Stephan Niklaus, cinquième du décathlon, et Pierre Délèze, sixième du 1500 m, avaient obtenu un diplôme (classement dans le Top-8). On peut raisonnablement penser qu’il en ira différemment cette fois-ci et qu’après sept médailles olympiques et quatorze européennes, l’athlétisme helvétique devrait conquérir à Rome sa toute première médaille mondiale. Un fait est d’ores et déjà certain : dans la capitale romaine s’aligne l’équipe suisse la plus forte depuis plusieurs années. Elle est composée de dix-huit athlètes, dont huit d’entre-eux étaient déjà présents en Finlande. Hansjörg Wirz, le chef technique de la Fédération Suisse d’Athlétisme, est résolument optimiste car il parle en conférence de presse de podium et de places en finale. C’est bon signe, malgré le fait que le niveau de l’athlétisme mondial soit à son zénith. Les boycotts subis lors des deux derniers Jeux Olympiques (1980 à Moscou et 1984 à Los Angeles) ne se sont heureusement jamais répercutés sur les championnats du monde, ni à Helsinki ni à Rome. C’est tant mieux pour le spectacle !
La sélection suisse présente dans la Ville Éternelle peut encore être rejointe par d’autres athlètes, en l’occurrence des coureurs de 400 m. Si l’équipe est effectivement inscrite, le comité de sélection a demandé à tous les prétendants de se soustraire à un dernier test qui a lieu le 29 août à Yverdon. Les règles de cet ultime chance de participer aux championnats du monde sont claires : Marcel Arnold (LC Zürich), qui se trouve déjà à Rome, Arno Baumeler (Hochwacht Zug) et Bernard Notz (ST Bern) font partie intégrante de l’équipe. Il ne reste plus qu’à choisir le quatrième titulaire entre Daniel Kehl (Old Boys Basel) et Reto Jelinek (TV Unterstrass), René Gloor (TV Länggasse) étant hélas blessé. Pour espérer être du voyage de Rome, il faut que l’un des deux réussisse moins de 47 secondes sur leur tour de piste. À Yverdon, Notz en 46″85 et Baumeler en 46″98 ont justifié leur statut de titulaire. Derrière, Kehl manque de peu la limite en 47″33, un chrono qui marque le glas pour cette équipe car la Fédération décide dans la foulée qu’aucun coureur ne rejoindra Arnold à Rome. Dans ce même meeting, Markus Hacksteiner (LAR Windisch) réussit la deuxième performance suisse de la saison sur 800 m en 1’46″26, ce qui est de bon augure pour son 1500 m des Mondiaux.

Le 29 août 1987, une date historique pour l’athlétisme suisse !
Ces championnats du monde débutent pour l’équipe suisse au matin du samedi 29 août 1987 par les qualifications du lancer du poids où il faut lancer à 20,40 m pour entrer en finale. Werner Günthör (ST Bern), champion d’Europe en 1986, doit une nouvelle fois faire face aux colosses Allemands de l’Est Ulf Timmermann et Udo Beyer, mais aussi à l’Américain John Brenner et surtout à l’Italien Alessandro Andrei, qui est devenu le 12 août dernier l’homme le plus fort de la discipline en battant à Viareggio le record du monde à trois reprises ! Alors que la référence mondiale était la propriété d’Udo Beyer avec 22,64 m, le policier Italien avait lancé son poids à 22,72 m à son troisième essai, à 22,84 m au quatrième et à 22,91 m à sa cinquième tentative, tandis que son ultime essai est mesuré à 22,74 m. Andrei est logiquement archi favori devant son public. Les Tifosi sont d’ailleurs aux anges ce matin-là puisqu’Alessandro Andrei remporte ces qualifications avec 21,57 m. Il devance Ulf Timmermann (21,11 m), Vyacheslav Lykho (20,99 m) et Udo Beyer (20,95 m). Werner Günthör prend quant à lui la cinquième place avec 20,66 m et se qualifie pour la finale avec un seul jet. Quatre lanceurs font donc mieux que lui, mais cela ne le dérange nullement, explique-t-il, car il sait par expérience que le vainqueur du matin n’est généralement pas celui de l’après-midi… En attendant la finale du soir, le camp suisse peut patienter en suivant les efforts de quatre des leurs. Gert Kilbert (TV Unterstrass), le tout frais recordman suisse du 800 m (1’45″46 il y a dix jours à Zurich), prend la cinquième place de sa série en 1’48″48 et se qualifie au temps pour les quarts de finale. Satisfaction également avec la qualification pour la finale du 3000 m de Cornelia Bürki (LC Rapperswil-Jona) en prenant très sereinement la troisième place de sa série en 8’47″95. Le marathon des femmes permet à Genoveva Eichenmann (GG Bern) de se distinguer avec une belle dix-huitième place en 2:43’07 ». Elle reste cependant à plus de sept minutes de son record personnel établi le 11 avril à Séoul en 2:35’40 ». Enfin lors de la finale du 10000 m, il n’y a pas eu de miracle pour Markus Ryffel (ST Bern). Pas au mieux de sa condition physique, le Bernois n’a rien pu faire lorsque l’allure a augmenté. Il a levé le pied et terminé au dix-septième rang en 28’34″58, à près d’une minute du vainqueur. C’est beaucoup, même s’il semble s’être trompé dans son décompte et sprinté un tour trop tôt !
La fin de l’après-midi est marquée par le premier grand moment de ces championnats : la finale du lancer du poids. Vainqueur des qualifications du matin avec le record des championnats, Alessandro Andrei est pourtant sous pression car la concurrence dans ce concours est absolument dantesque. Il débute avec un petit 21,12 m. Trois lanceurs font mieux puisqu’Udo Beyer lance un centimètre de mieux, puis le Tchèque Remigius Machura réussit 21,15 m, mais c’est surtout Werner Günthör qui envoie la première vraie banderille avec 21,63 m. La deuxième série d’essai voit l’Américain John Brenner prendre la tête du concours avec un superbe 21,75 m qui représente le plus long jet réalisé aux Jeux Olympiques ou aux Mondiaux. Un peu surpris par cette réussite, Günthör reste sur la retenue avec 21,19 m. Il fait même encore moins bien avec 20,88 m lors de son troisième essai, ronde au cours de laquelle seul Machura parvient à s’améliorer en prenant la troisième place avec 21,39 m. Pour le Suisse, ce trou noir sur ces deux tentatives ne le perturbe pas trop car il constate que ses adversaires connaissaient eux aussi certaines difficultés. Cette situation va l’aider pour son quatrième jet. En effet, c’est à ce moment-là que le Thurgovien retrouve toutes ses sensations en lançant son poids à 22,12 m. Il reprend ainsi la tête avec une avance substantielle de 37 centimètres. Mais attention à Alessandro Andrei, qui est le dernier de la série à lancer, et qui doit lui aussi se ressaisir. Son quatrième essai part au-delà de la ligne des vingt-deux mètres dans une ambiance indescriptible, très rapidement plombée par le drapeau rouge du juge. Heureusement que ce jet est mordu car il aurait certainement pu prendre le commandement des opérations. Au cinquième essai, chacun tente le tout pour le tout et la plupart rate son affaire, dont Günthör qui ne lance qu’à 20,67 m. L’Italien profite de ce désarroi général pour remettre de l’ordre dans le classement en validant sa tentative avec un joli 21,88 m qui le fait passer de la cinquième à la deuxième place. Le suspense est plus que jamais relancé. Le dernier essai fige les places d’honneur et fait monter l’Américain Brenner sur la troisième marche du podium. Il ne sont donc plus que deux à lancer : Günthör d’abord, puis Andrei. Alors que le Suisse se prépare pour son ultime tentative, le public romain se met à le conspuer par des sifflets dignes du derby de football AS Roma vs Lazio Roma. Le visage fermé, Werner Günthör se concentre sur son mouvement. Dans cette ambiance délétère, il apporte une réponse cinglante à l’attention de tous les Tifosi en projetant son poids à 22,23 m. L’attitude peu fair-play du public a finalement décuplé les forces de Günthör; mais attention, il reste encore un essai au Transalpin, qui pourrait régler tout le monde dans sa dernière tentative. Les encouragements sont grandioses, au bord de l’apoplexie, mais la crispation d’Andrei ne lui permet pas de lancer plus loin que 21,76 m. Voilà, c’est fait, Werner Günthör offre à la Suisse son tout premier titre mondial. Sublime ! Il se présente radieux en zone mixte et il fait part de ses impressions de champion du monde : «Tous les sifflets qui m’étaient adressés, surtout en fin de concours, m’ont plutôt aidé. C’était une motivation supplémentaire que de gagner dans un climat plutôt hostile. De toute façon je m’y étais préparé… Avec Jean- Pierre Egger mon entraîneur, nous avons tout fait, systématiquement et loyalement, pour que je devienne le meilleur lanceur du monde». Veni, vidi, vici ! Ce rappel historique pourrait faire sourire certains. Mais le triomphe de Werner Günthör au stadio Olimpico, obtenu à deux pas de l’ancien Capitole, dans la patrie même de Jules César, relève des mêmes principes d’efficacité qui caractérisaient jadis la manière de l’illustre général romain : maestria, lucidité et aussi une grande simplicité dans la victoire. Une victoire exceptionnelle qui lui a permis de battre les deux Allemands de l’Est, Ulf Timmermann et Udo Beyer, l’Américain John Brenner et surtout le matador local Alessandro Andrei, soit quatre lanceurs dotés au départ d’un record personnel supérieur à son record suisse, les 22,47 m établis il y a deux mois à Helsinki. L’exploit est de taille, à la mesure d’un athlète d’exception dont la capacité de répondre présent au moment le plus opportun est l’un des atouts majeurs : champion d’Europe en salle Madrid en 1985, champion d’Europe 1986 à Stuttgart, Werner Günthör franchit ainsi un nouveau pallier vers la consécration. Et ce, devant l’élite mondiale au grand complet. «À Stuttgart, je n’étais peut-être qu’un outsider parmi d’autres; mais ici, même si Andrei était le favori logique, j’ai ressenti beaucoup de pression». Le triomphe de Werner est aussi – et surtout – la victoire de ce duo d’indissociables partenaires que le nouveau champion du monde forme avec Jean-Pierre Egger, ce pédagogue hors pair devenu à la fois son entraîneur et son ami. D’ailleurs entre les deux colosses, l’accolade émouvante échangée dans les couloirs du stadio Olimpico samedi soir aurait suffi à dissiper toute forme d’équivoque à ce sujet. L’entraîneur Neuchâtelois partage lui aussi ses impressions : «Dieu que j’ai souffert de mon poste d’observation dans la tribune. Surtout après le troisième jet de Werner. À tel point que j’avais imaginé le pire. Mais je savais que Werner serait capable de manifester une réaction de fierté et d’amour-propre, comme le déroulement du concours l’a prouvé. Cette fois, il n’a pas gagné par son potentiel technique, mais bien sur ses vertus de combattant. Et cette nouvelle expérience au plus haut sommet nous offre ainsi de superbes perspectives d’avenir». La suite, ce seront bien sûr les Jeux Olympiques. Après Stuttgart et Rome, Séoul pourrait ainsi constituer pour Günthör le point d’orgue d’une trilogie exceptionnelle. «C’est bien là mon prochain objectif. Pour peu que je puisse poursuivre ma carrière sans connaître d’ennuis de santé».

Le 29 août 1987, une date historique pour l’athlétisme suisse !
Ce 29 août 1987 est devenu désormais une date de référence obligée dans les annales du sport helvétique. C’est en effet la première fois qu’un Suisse accède à la plus haute marche du podium dans une compétition d’athlétisme à l’échelon planétaire. Suite à la cérémonie protocolaire, tout s’est précipité pour Werner Günthör, désormais héros historique du sport suisse. Son temps ne lui a plus vraiment appartenu. Il a d’abord fêté l’événement au village des athlètes. Puis, dès l’aube, ou presque, il est la proie de la presse et des fans Italiens qui, après l’avoir sifflé, lui demandent désormais des autographes. Son emploi du temps été très chargé et, c’est tout dire, sur le coup des 14:30, il était toujours la recherche de sa compagne, qu’il n’avait pas encore vue depuis son triomphe de la veille. Les choses s’étaient passées sensiblement de la même manière l’an dernier après son titre européen à Stuttgart. À la différence près que, cette fois, ce ne sont plus seulement les journalistes suisses qui s’occupent de lui, mais aussi ceux de la presse internationale. Et c’est toute la différence, cher Werner, entre un titre continental et un titre mondial. Pour être le plus complet possible, il faut encore relater que ce triomphe a connu un épisode navrant puisque Werner s’est fait volé sa médaille d’or qui était dans sa chambre d’hôtel. Heureusement, l’I.A.A.F. a été magnanime en acceptant de lui en donner une autre.

Marcel Arnold et Martine Oppliger dans le coup
Dimanche 30 août, Marcel Arnold (LC Zürich) est le seul Helvète à entrer dans l’arène athlétique et sa tâche est d’en faire le tour le plus rapidement possible. Le 400 m du recordman suisse est convaincant puisqu’il court de manière relâchée en 45″76; il prend la quatrième place de sa série derrière l’Ivoirien Gabriel Tiacoh, l’Australien Darren Clark et le Soviétique Alexander Kurotschkin. Le lendemain il remet ça en quart de finales, au centième près, derrière l’Allemand de l’Est Jens Carlowitz, le Nigérian Moses Ugbisie et à nouveau Gabriel Tiacoh, tout en réussissant l’exploit de sortir l’Américain Antonio McKay ! L’autre athlète suisse du jour, c’est Martine Oppliger (CA Courtelary). Contrairement à son camarade de l’équipe suisse, elle ne doit pas faire qu’un tour, loin de là car elle est engagée dans les séries du 10000 m. Aux prises avec des adversaires de très haut niveau, la coureuse d’origine française a su courir intelligemment en se maintenant dans le peloton de tête. Et lorsque la Norvégienne Ingrid Kristiansen a décidé d’accélérer, elle a pu contrôler ses rivales directes pour décrocher une huitième place qualificative pour la finale en 33’22″25. «Avant la course, j’étais nerveuse; j’ai aussi souffert de crampes d’estomac. Il faut dire que douze des dix-neuf engagées dans cette série annonçaient un meilleur chrono que le mien». Cette accession en finale mondiale est déjà une belle performance en soi, mais il faudra être beaucoup plus forte dans deux jours car le tempo ne sera bien sûr pas le même qu’aujourd’hui. Il devait aussi y avoir ce dimanche les quarts de finale du 800 m avec Gert Kilbert. Hélas le Zurichois n’a pas pu se présenter au départ de sa course.

La malchance s’abat sur Jean-Marc Muster
Mardi 1er septembre voit l’entrée en lice des deux hurdlers du Seeland. Dans la première série, Fabien Niederhäuser (CA Courtelary) termine quatrième en 14″04, ce que le classe vingt-huitième sur trente-neuf participants. Le Bernois prend toutefois la chose avec philosophie : «J’ai touché la sixième haie, ce qui m’a déséquilibré, puis je me suis presque assis sur la septième. J’étais contraint de prendre des risques car pour entrer en demi-finales car il fallait quasiment battre le record suisse. Mais à 9:30 du matin, ce n’est pas forcément facile. Courir 14″04 dans ces conditions, pour ma première grande compétition, je ne crois pas que ce soit une déception». L’entraîneur national des haies hautes Beat Pfister compte surtout sur Jean-Marc Muster (LAC Bienne) pour placer un de ses gars en demi-finales. Potentiellement, le recordman suisse (13″74) en a largement les moyens. Hélas la malchance est tombée sur un athlète qui ne la méritait pas du tout. Placé au couloir 2, le Biennois espère être aspiré par les trois champions (l’Américain Jack Pierce, le Britannique Nigel Walker et le Soviétique Igors Kazanovs). Après un bon départ, Jean-Marc trébuche juste après la deuxième haie, s’écroule et se prend la jambe gauche dans les mains en se tordant de douleur. On devine évidemment tout de suite que c’est grave. Évacué sur une civière, la confirmation tombe très rapidement : le hurdler du LACB, dont la saison a déjà été perturbée par une tendinite, a été victime d’une rupture du tendon d’Achille. Rapatrié immédiatement en Suisse pour se faire opérer, Jean-Marc Muster va devoir observer une immobilisation d’un mois et demi au minimum. Dans les semaines qui suivent, la polémique enfle dans les médias, surtout lorsqu’un téléspectateur demande l’avis du Dr Howald (le chef de l’Institut de recherches à Macolin) au sujet des piqûres contre la douleur administrées aux footballeurs. Il n’y va pas par quatre chemins : «Il y a piqûre et piqûre. Lorsqu’elle est administrée à quiconque pour calmer une douleur, c’est un acte médical. Mais lorsqu’on l’administre à un sportif pour qu’il ignore sa douleur et poursuive la compétition, cela rentre dans le cadre du dopage». Et de vitupérer contre les piqûres calmantes administrées à Jean-Marc Muster avant les championnats du monde à Rome : «Il a pu courir pour se rompre le tendon d’Achille; c’est criminel !».

Marcel Arnold sort par la grande porte
Après deux belles courses en 45″76, Marcel Arnold s’apprête à réaliser un troisième tour de piste en 48 heures. Visiblement au top de sa forme, le Lucernois du LCZ tente sa chance lors de la première demi-finale, au point de rester tout proche des meilleurs. Bien qu’éliminé pour cinq petits centièmes face à l’Américain Roddie Haley, la cinquième place de Marcel Arnold est récompensée par un chrono de choix : 45″26, soit onze centièmes de mieux que son propre record suisse établi il y a trois ans lors des championnats suisses simples à Zofingue. Décevant lors des compétitions internationales jusqu’à présent, le Lucernois éclate enfin au grand jour en montrant la vraie mesure de son talent : «Désormais, je crois avoir acquis une dimension supérieure. Sans doute le fruit de mes expériences passées». Un quart de siècle après les fameux 45″7 de Peter Laeng (LC Zürich) lors du meeting de Zurich 1962, l’athlétisme suisse tient assurément son nouveau crack sur le tour de piste; sa onzième place lors de ces championnats du monde de Rome en atteste pleinement.

Cornelia Bürki au pied du podium
En ce lundi 1er septembre, la finale du 3000 m des femmes, avec Cornelia Bürki, doit sans aucun doute permettre au camp suisse de vivre de grandes émotions. Très à l’aise deux jours plus lors des séries, la Saint-Galloise sait qu’elle est au bénéfice, à 34 ans, de la forme de sa carrière. Pourtant au vu de ses adversaires en finale, il faudrait un miracle pour qu’elle réussisse à se mettre en évidence. En effet avec notamment les Soviétiques Olga Bondarenko, Tetjana Samolenko et Jelena Romanova, la Roumaine Maricica Puica, l’Allemande de l’Est Ulrike Bruns, la Néerlandaise Elly van Hulst, ainsi que les Britanniques Yvonne Murray et Wendy Sly, la tâche de Cornelia Bürki semble insurmontable. Placée au cœur du peloton, la petite Suissesse suit sans problème le train imprimé par les Britanniques. Aux 2000 m, Cornelia passe en 5’53″5 et pointe en septième position. Wendy Sly est toujours en tête à la cloche, mais Tatiana Samolenko, Maricica Puica, Ulrike Bruns sont très menaçantes, tout comme Cornelia Bürki qui pointe à ce moment-là en cinquième position juste devant Jelena Romanova et Elly van Hulst. À 200 m du terme, Sly craque et Samolenko prend les commandes dans le dernier virage. À 100 mètres de la ligne, elles sont cinq quasiment de front, avec une Cornelia Bürki en feu qui fait l’extérieur pour mieux se placer dans l’assaut final de la dernière ligne droite. Samolenko est sans aucun doute la plus forte et c’est logiquement qu’elle remporte cette course en 8’38″73, devant Puica en 8’39″45. Derrière, la lutte entre Bruns et Bürki est totalement épique car le sprint de notre compatriote semble irrésistible. Avec trois mètres de retard sur l’Allemande de l’Est à 40 mètres de l’arrivée, la Suissesse parvient à combler l’écart et les deux coureuses finissent par se jeter corps et âme sur la ligne, apparemment en même temps. Finalement le verdict des chronométreurs de Seiko donne un avantage d’un centième en faveur d’Ulrike Bruns, déclarée troisième en 8’40″30, contre 8’40″31 pour Cornelia Bürki. Battue d’un souffle, la Saint-Galloise du LC Rapperswil-Jona n’est pas vraiment déçue. Au contraire : «Je crois que j’ai livré la meilleure course de ma carrière. Je n’ai pas fait de fautes. Au début, je me suis tenue à l’abri pour m’économiser des forces; puis, quand le rythme s’est accéléré, je me suis porté vers la tête pour éviter que ne se creuse un trou. Dans le dernier tour, j’ai tout donné. Je ne crois pas avoir jamais couru aussi vite un dernier 100 mètres. Mais, sur la ligne, j’étais persuadée d’avoir été écarté du podium. Dommage tout de même car je tenais la forme; je l’avais déjà senti lors des séries. Cette médaille de bronze, je ne l’ai pas perdue lors de l’emballage final. Mais bien au sortir du dernier virage, lorsque Romanova m’a forcée à dévier de la bonne trajectoire, d’où une perte de temps valant bien plus qu’un centième…». Ce discours rempli de sagesse et d’humilité révèle une Cornelia Bürki au sommet de son art. Plus que sa résistance, sa vitesse nouvellement acquise a été flamboyante dans cette dernière ligne droite. Après avoir récupéré de ces efforts lors de cette finale, elle pourra aborder le 1500 m avec une confiance nettement accrue. À elle de profiter pleinement de cet état de grâce, dès les séries prévues mercredi déjà.

Hansjörg Wirz satisfait de cette première partie de championnats
Le mardi 2 septembre est un jour de pause dans ces championnats du monde. Chacun profite de la Dolce Vita romaine en flânant ci et là aux alentours du stade olympique où des boutiques-souvenirs et autres échoppes attirent les badauds. Non loin du stade se trouve le magnifique stade des Marbres, avec ses statues qui accueillent les athlètes pour l’entraînement, mais également le Foro Italico et ses courts de tennis, les piscines extérieures et intérieures (transformées pour l’occasion en salle de presse), tout cela au bord du Tibre. C’est dans ce cadre idyllique que Hansjörg Wirz, le président technique de la F.S.A., dresse le bilan intermédiaire de l’athlétisme suisse : «La consécration pour Werner Günthör au poids, la quatrième place de Cornelia Bürki au 3000 m, plus le superbe record suisse de Marcel Arnold sur 400 m, le bilan est beaucoup mieux que prévu. J’escomptais certes une place sur le podium pour Günthör, mais je n’osais pas vraiment croire à la victoire. Il est bien évident que l’or de Werner, dès la première journée, a agi comme un stimulant idéal sur tous les membres de notre délégation. Quant à la fin de ces championnats, je l’entrevois avec un optimisme mesuré. Avec, pourquoi pas, une deuxième médaille grâce à Sandra Gasser ? J’avoue fonder également beaucoup d’espoirs en Markus Hacksteiner. Pour les autres, Roland Dalhäuser, Pierre Délèze et Peter Wirz notamment, j’espère qu’ils seront fidèles à leur réputation».

Séries du 1500 m : les femmes OK, les hommes KO
Les compétitions reprennent le mercredi 3 septembre au Stadio Olimpico avec les séries du 1500 m pour les femmes et pour les hommes. Du côté féminin, ce n’est pas une surprise, Sandra Gasser (ST Bern) et Cornelia Bürki ont marqué leur course respective avec une autorité impressionnante, ce qui démontre bien les ambitions des deux « mileuses » helvétiques en vue de la finale de vendredi. La Bernoise a terminé deuxième de la deuxième série en 4’05″48 juste derrière l’Allemande de l’Est Andrea Lange, tandis que la Saint-Galloise a dû revivre le final du 3000 m en prenant elle aussi la deuxième place de la troisième série, à trois centièmes d’Ulrike Bruns…
Du côté masculin, on était en droit de penser que Peter Wirz (ST Bern) et Markus Hacksteiner (TV Windisch) passeraient eux aussi l’obstacle des séries, mais ce ne fut pas le cas. Le mode de qualification (les six premiers plus les six meilleurs temps des trois séries) semble favorable, mais c’était sans compter – pour Wirz surtout – une concurrence de folie. En effet dans la première série, le Bernois doit notamment affronter le Soudanais Omer Khalifa, le Britannique Steve Cram, le Kenyan Peter Rono, l’Américain Steve Scott, l’Irlandais Ray Flynn, le Français Rémy Geoffroy ou encore l’Australien Michael Hillardt. Le tempo de cette course est très lent, mais la pointe de vitesse de Peter devrait lui permettre de faire le travail dans la ligne droite finale. Hélas il est victime d’une bousculade dans le dernier virage, qui aurait mérité une disqualification. Wirz termine septième en 3’43″00, à vingt et un centièmes de Michael Hillardt, le dernier qualifié à la place. Dans la troisième série, Markus Hacksteiner n’a pas compris ce qui lui est arrivé. Classé neuvième seulement en 3’42″04, il a assurément manqué le coche : «Je ne crois pas avoir commis d’erreur tactique. J’ai simplement bloqué au plan physique, comme je ne l’ai jamais été jusque-là».
Sur 100 m haies, Rita Heggli (LC Zürich) s’est aisément qualifiée pour les demi-finales avec un chrono de 13″32. La quatrième du 60 m haies des championnats du monde en salle en mars dernier à Indianapolis a rehaussé son niveau le lendemain lors des demi-finales. Pourtant ses 13″20, à neuf centièmes de son record suisse, n’ont pas suffi pour obtenir son ticket pour la finale.

Un bon décathlon de Beat Gähwiler à plus de 8’000 points
Les rois du stade sont en mission les 3 et 4 septembre afin de réaliser leurs dix travaux d’Hercule. Malgré le mauvais temps en fin de première journée, le spectacle est évidemment au rendez-vous avec un casting de premier choix : les Allemands de l’Est (Torsten Voss et Christian Schenk), les Allemands de l’Ouest (Jürgen Hingsen et Siegfried Wentz), les Soviétiques (Pavel Tarnevetski et Alexander Newski), les Américains (Gary Kinder, Rob Muzzio et Tim Bright), les Français (Christian Plaziat, Alain Blondel et William Motti), ainsi que – last but not least – l’inévitable recordman du monde (Daley Thompson). Dans ce contexte relevé, notre champion suisse Beat Gähwiler (TV Landquart) se doit de sortir le grand jeu s’il ne veut pas passer pour un valet au milieu de tous ces rois. Avec son joli record personnel placé l’an dernier à 8’089 points (11″00 – 7,48 m – 14,35 m – 1,95 m – 48″43 | 14″71 – 39,42 m – 4,70 m – 60,64 m – 4’21″95), le Grison possède tout de même de bons arguments. Sa première journée est satisfaisante, sans plus, avec un total de 3’991 points (11″29 – 7,20 m – 14,59 m – 1,92 m – 49″54) pour une dix-septième place provisoire. Ça se passe bien mieux en seconde journée (14″83 – 43,24 m – 4,80 m – 63,28 m – 4’20″87), ce qui lui permet de remonter au classement et de signer une très honorable onzième place mondiale avec 8’034 points. Si on se fie aux totaux réussis par les trois premiers de ce décathlon de Rome (Torsten Voss 8’680 pts, Siegfried Wentz 8’461 pts et Pavel Tarnevetski 8’375 pts), on se dit que les conditions atmosphériques ont passablement prétérité l’évolution des décathlètes. Dans un futur proche, un total au-delà des 8’200 points ne paraît pas si utopique que ça pour le jeune protégé de Hansruedi Kunz.

Pierre Délèze et Markus Ryffel passent en finale du 5000 m
Pendant le périple de Beat Gähwiler, on a pu voir Markus Ryffel et Pierre Délèze (LC Zürich) en lice lors des séries du 5000 m. Placé dans la première série, le Bernois termine neuvième en 13’33″07 et il ne disputera pas la finale de dimanche. Jamais encore il n’avait été sorti d’une grande compétition officielle de cette manière et il en était évidemment fort déçu : «Compte tenu de ma vitesse terminale du moment, je savais qu’il fallait prendre des risques, afin que le peloton soit le plus réduit possible à l’attaque du dernier tour. J’ai donc assuré ma part de travail pour qu’il en soit ainsi, mais sans succès. Nous étions encore trop nombreux à la cloche pour que je me fasse des illusions. J’ai bouclé les derniers 400 m en 59 secondes alors qu’il m’est souvent arrivé de le faire en 54-55 secondes. Toute l’explication tient dans ces chiffres». Pierre Délèze, en revanche, a su prendre le bon wagon. Il termine troisième de la deuxième série en 13’24″07, après une course tactiquement fort bien menée. «J’aurais peut-être pu m’économiser un tout petit peu, étant donné que, dans le groupe de tête, nous étions tous assurés de la qualification. Mais il m’est arrivé tellement de bricoles en séries, par le passé, que j’ai préféré ne pas jouer au plus malin… Je suis donc satisfait de ma course. À Zurich et à Berlin, j’étais fatigué et j’espère que ça a donné le tour. J’étais en tout cas bien. Pas aussi facile que Ngugi, qui avait l’air de faire son jogging, mais bien. Reste à savoir comment je vais récupérer d’ici la finale de dimanche. Il n’y a en effet que deux jours entre les deux courses, contre trois l’an dernier à Stuttgart lors des championnats d’Europe».

Martine Oppliger au top en finale du 10000 m
Brillamment qualifiée pour la finale du 10000 m il y a trois jours, Martine Oppliger est tout à fait prête à frapper un grand coup lors des vingt-cinq tours à couvrir au Stadio Olimpico. Bien entendu pas au niveau du classement de la course, mais bien entendu chronométriquement parlant. Son record suisse, établi le 4 juillet dernier à Oslo en 32’35″88, ne devrait pas résister. Elles sont vingt-deux au départ d’une course d’ores et déjà promise à la championne d’Europe Ingrid Kristiansen. La Norvégienne ne se pose aucune question dans cette finale et fausse compagnie au peloton après une minute et demie déjà ! Elle s’impose en 31’05″85 devant la Soviétique Olena Shupieva en 31’09″40 et l’Allemande de l’Est Catherine Ullrich en 31’11″34. Plus forte que jamais, Martine Oppliger a fait preuve de régularité et d’abnégation, ce qui lui a permis de pulvériser son record suisse de plus de vingt-huit secondes en le plaçant à 32’07″49. Très heureuse de sa onzième place, elle regrette juste de ne pas avoir réussi à franchir la barre des 32 minutes. Quelle progression depuis ses débuts il y a deux ans où elle battait son premier record suisse à Vienne en 34’19″21.

Roland Dalhäuser manque la finale
Vendredi 5 septembre ont lieu les qualifications du saut en hauteur avec Roland Dalhäuser (LC Zürich). Auteur d’une saison en salle fabuleuse avec 2,30 m à Macolin et à Liévin, puis 2,32 m à Indianapolis pour une quatrième place lors des Mondiaux indoor, le Bâlois reste en plein air sur deux sauts à 2,28 m, à Baden en début de saison et à Zurich il y a deux semaines lors de Weltklasse. Pour ce concours de qualification à Rome, la règle est de passer 2,29 m ou de figurer parmi les douze meilleurs; pas facile au vu des forces en présence. Tout se passe bien pour Dalhäuser qui passe facilement 2,21 m et 2,24 m. Hélas à 2,27 m, il doit subir trois échecs, ce qui le place en dehors de la zone des qualifiés pour la finale. Le Chinois Zhu Jianhua (l’ancien recordman du monde à 2,39 m), l’Américain Jerome Carter ou le Bahaméen Troy Kemp sont ses principaux compagnons d’infortune.
Aucune chance non plus pour Denise Thiémard (GG Bern) au lancer du javelot. Pourtant le coup était parfaitement jouable puisque la qualification pour la finale s’est située à 60,78 m par la Soviétique Natalya Yermolovich. Forte de son nouveau record suisse établit il y a un mois à Oslo avec 64,04 m, la Bernoise aurait largement eu les moyens de décrocher sa place de finaliste. Hélas son meilleur essai, mesuré à 56,34 m ne lui donne que la vingt et unième place.

Le chef d’œuvre de Sandra Gasser et de Cornelia Bürki en finale du 1500 m
La finale du 1500 m des femmes de ces championnats du monde promet de devenir l’un des plus grands moments de l’Histoire de l’athlétisme helvétique féminin. Cet événement, Meta Antenen (la grande championne suisse des années ’60 et ’70) l’attendait avec impatience, elle qui se trouvait bien seule jusqu’à présent au Panthéon de l’athlétisme national. Prêtes sur la ligne de départ du Stadio Olimpico, Sandra Gasser et Cornelia Bürki sont totalement conscientes que les quatre minutes de course qu’elles vont produire dans quelques instants seront les plus importantes de toute leur carrière, quand bien même la Bernoise a déjà décroché des podiums européens indoor sur 1500 m (le bronze en 1984 et l’or en 1987). Elles connaissent également les intentions tactiques des Allemandes de l’Est : Ulrike Bruns, la médaillée de bronze du 3000 m, allait être sacrifiée au profit de Hildegard Körner et Andrea Hahmann. Et effectivement, le rythme de cette finale romaine est rapide, très rapide, presque suicidaire : 1’02″0 aux 400 mètres et 2’07″0 aux 800 mètres; le rideau bleu des « Wundermädchen » semble infranchissable. La cloche retentit, avec les trois Allemandes de l’Est en tête, devant Tatiana Samolenko, Doina Melinte, Kirsty Wade, Sandra Gasser, Svetlana Kitova et Cornelia Bürki. Au passage des 1200 mètres en 3’12″0, Bruns abandonne et Samolenko se place en deuxième position, ce qui rompt totalement l’hégémonie de la DDR et montre que le sacrifice de Bruns, inutile, est sur le point de profiter à la Soviétique, à la Roumaine et aux deux Suissesses. Elles ne sont plus que huit à la lutte alors que vient maintenant le moment de vérité, celui de la ligne droite finale. À 80 mètres du but, on retrouve dans l’ordre Hildegard Körner, Tatiana Samolenko, Doina Melinte, Andrea Hahmann, Sandra Gasser, Cornelia Bürki, Kirsty Wade et Diana Richburg. Le dénouement de la course se déroule en trois temps : Samolenko passe Körner dans les derniers mètres et réalise le doublé 1500/3000 en 3’58″56 contre 3’58″67 pour l’Allemande de l’Est. Derrière, Gasser trouve les ressources nécessaires pour ajuster Melinte et termine brillante troisième en 3’59″06, record suisse pulvérisé de deux secondes et quatre centièmes ! Quant à Bürki, son finish semblable à celui de lundi lui permet de prendre la cinquième place en 3’59″90 !
Les deux athlètes en rouge et blanc se jettent dans les bras l’une de l’autre juste après la ligne d’arrivée et se réjouissent d’avoir semé la zizanie dans cette coalition de l’Est. Cette scène de bonheur n’avait rarement été aussi grande au sein de l’athlétisme helvétique féminin. Comment peut-il en être autrement avec d’une part cette première médaille mondiale d’une athlète féminine et de l’autre deux femmes qui viennent de faire sauter d’un seul coup la fameuse barrière des quatre minutes sur 1500 m, une limite qui ouvre la porte d’un club très restreint. Sandra et Cornelia, pour signer leur réussite, ont accompli un long chemin de préparation au pays d’abord, puis sur place en tirant les leçons de ce qu’il ne faut pas faire en regardant évoluer Peter Wirz et Markus Hacksteiner : «L’entrée en finale était le plus dur pour moi, dit Sandra. Elle m’a paralysée et fatiguée beaucoup plus que cette course d’aujourd’hui car, dans celle-ci, je savais que je parviendrais pour le moins à bien me classer. Dans une telle compétition, on doit être assez sûre de soi pour savoir si l’on vaut la finale ou non. Je n’en ai jamais douté cette année, sinon un brin après avoir vu échouer nos garçons. Quant à la course, elle était à ma taille, bien que si elle avait été un peu plus lente, j’aurais eu une chance de gagner l’épreuve. Les Allemandes de l’Est le savaient bien, c’est pourquoi elles ont sacrifié l’une des leurs pour le train ! C’est vrai qu’à mi-course, j’ai éprouvé quelques difficultés. Là je me suis dit que je serai peut-être que septième ou huitième. Puis dans le dernier tour, j’ai réalisé que mon handicap n’était pas si grand; cela m’a redonné de la motivation et j’ai attaqué. En voyant Melinte, malgré sa renommée, je ne me suis pas demandé si je pouvais l’avaler. Je voulais cette médaille et, si près du but, personne n’aurait pu m’empêcher de la cueillir. En fait j’étais si motivée que rien ne pouvait m’arriver». Pas très loin, Cornelia Bürki essuie de nouvelles larmes de bonheur. Elle vient d’apprendre qu’elle a réussi un chrono de moins de quatre minutes : «C’est le plus beau jour de ma carrière car ce saut dans le cercle magique des trois minutes et quelques est ce qui m’a le plus fascinée depuis que je fais des courses de demi-fond. Maintenant je vais poursuivre une année encore en tant que professionnelle; en consacrant à ma préparation plus de temps et de soins que jusqu’à présent. Mais pour une année seulement car je ne veux pas que ma famille en souffre».

Hans Sommer, l’entraîneur de Sandra Gasser, explique à qui veut l’entendre comment son athlète a pu réaliser une progression de treize secondes en une saison : «Sandra profite maintenant d’un entraînement de base que nous avons réalisé ces dernières années. Jamais n’avons cherché les performances immédiates; notre travail était planifié pour qu’elle atteigne son sommet entre 23 et 25 ans. Cet hiver, nous avons moins travaillé l’endurance, par contre nous avons accru l’entraînement par intervalle, ce qui permet aujourd’hui à Sandra de courir sur un rythme beaucoup plus élevé». Sandra Gasser, qui ne veut pas être considérée comme l’héritière de Cornelia Bürki, mène sa carrière comme elle l’entend et elle ne compte pas s’arrêter là : elle nous donner rendez-vous à Séoul !

Pierre Délèze victime du terrible et légendaire finish d’un Anglais
Bien que Jean-François Pahud ait cru aux bonnes chances de Bruno Lafranchi (ST Bern) sur le marathon, il n’avait certainement pas pensé que le Bernois exploserait peu avant le vingt-deuxième kilomètre à cause de la lourde humidité et les terribles chaud-froid qui ont marqué les incessants passages de l’ombre au soleil et vice-versa. Ce même Jean-François Pahud est maintenant prêt en ce 4 septembre à voir la finale du 5000 m, où Pierre Délèze – l’athlète qu’il a entraîné durant une dizaine d’années – pourrait avoir son mot à dire dans le dernier tour. Cette finale, le coureur Valaisan pressent qu’elle sera dominée par un trio formé d’Aouita, Ngugi et Buckner. «Je préférerais qu’elle se dispute sur des bases relativement lentes, mais je ne crois pas que ce sera le cas. Elle devrait tourner aux alentours de 13’10″0». Sauf que la prédiction de Pierre ne sera pas juste. En effet, la course a bel et bien évolué sur des bases assez lentes. Une course lente et tactique, puis une course au train. Tout était bon pour Saïd Aouita, le caïd du demi-fond mondial. Le petit Marocain a donc laissé faire ses adversaires, très empruntés. Le Kenyan John Ngugi, champion du monde de cross, a été le dindon de la farce. Il a tenté quelques à-coups pour décontenancer Aouita, mais il aurait fallu plus pour le désarmer. En passant au troisième kilomètre en 8’16″19, la course tarde encore à s’emballer. Elle ne s’accélère véritablement qu’à l’amorce du dernier kilomètre. Après avoir bien amorti, en queue de peloton, la seule véritable accélération de Ngugi, tout en début de parcours, Pierre Délèze s’est à ce moment-là intégré au groupe de tête, prêt à saisir toutes les opportunités. Dans les deux derniers tours, le rythme imprimé est idéal pour Pierre. Idéal au point que le Valaisan semble être en mesure de réaliser quelque chose de grandiose. Aouita est parti à 300 mètres de l’arrivée et c’est le Portugais Domingos Castro qui est le plus prompt à réagir. Bien lui en prend car il réussit à tenir son rang. La dernière ligne droite permet à Saïd Aouita de remporter un titre logiquement et largement mérité en 13’26″44. Castro a suivi la manœuvre et il s’empare de la médaille d’argent en 13’27″59. À soixante mètres du but, Pierre Délèze est encore en troisième position et on croit que ça va le faire pour lui. Mais à dix mètres de la ligne d’arrivée, il voit l’Anglais Jack Buckner le déborder tel un Boeing de la British Airways, et lui souffler une médaille de bronze qu’il croyait déjà attachée à son cou, Pierre Délèze laisse sa main gauche aller à un geste de dépit, bien compréhensible. Si près du but. Si près du bonheur. Mais non : il échoue à la place la plus ingrate en 13’28″07 contre 13’27″74 à Buckner. Sur le fil, le mot de Cambronne ne peut pas lui échapper et quelques cônes placés sur la piste font les frais de sa rage et de sa déception. «Ce soir, je suis certainement déçu d’avoir passé si près de la médaille de bronze. Mais dans deux ou trois semaines, je me dirai sans aucun doute que cette quatrième place est déjà exceptionnelle. C’est en tout cas le meilleur résultat de ma carrière».

Pierre Délèze n’a rien à se reprocher. Sa course a été empreinte de bon sens. «Au fil des tours, j’ai compris que cette course serait parfaitement dans mes cordes. Dans un premier temps, j’ai essayé d’amortir les éventuels à-coups, tout en restant très attentif à ce qui se passait à l’avant du peloton. En fait, je n’ai jamais eu le sentiment de prendre le moindre risque. À 200 mètres de l’arrivée, j’ai essayé de suivre Aouita mais j’étais déjà à 99% de mes possibilités, ce qui ne m’a pas permis de repartir lorsque Buckner a attaqué. Pourtant je peux dire que j’ai donné le maximum. Je réalise la course idéale. C’est très rare. Je n’ai rien à me reprocher, même pas d’avoir raté une médaille. Simplement les autres étaient plus forts. Il me manquait peut-être une ou deux bonnes courses dans les jambes». Après sa performance mitigée de Zurich, Pierre Délèze s’est parfaitement repris en allant se reposer à Saint-Moritz, évitant le stress et l’ambiance de ces Mondiaux. «Je n’étais pas parti pour faire une médaille comme à Stuttgart, mais j’étais prêt à lutter pour chaque place». En signant la meilleure performance de sa déjà longue carrière, Pierre Délèze a atteint un nouveau palier. Et à vingt-neuf ans, il a encore bien des courses à gagner.

L’athlétisme suisse vit-il son âge d’or ?
En 1924, l’équipe suisse d’athlétisme était revenue des Jeux Olympiques de Paris avec une remarquable septième place au classement des médailles. C’est la sensation, au point de lire des paroles dithyrambiques du Dr Willy Meisl lorsqu’il écrit le 15 juillet dans le journal « Der Kicker » : «La Suisse, le pays de l’avenir». Il est vrai que les deux médailles d’argent de Paul Martin au 800 m et de Willy Schärer au 1500 m, plus les quatre places de finalistes de Josef Imbach au 400 m, d’Arthur Tell Schwab au 10000 m marche, de Ernst Gerspach au décathlon et des sprinters du relais 4 x 100 m avaient fait leur effet. Pourtant l’Histoire lui a le plus souvent donné tort… Jusqu’en 1969, quand l’équipe nationale d’athlétisme est revenue des championnats d’Europe d’Athènes avec trois médailles, une de chaque métal; et là aussi on a cru au miracle. Mais après l’ère Philippe Clerc et Meta Antenen, le creux de la vague avait été sensible dès le milieu des années ’70. Depuis les championnats du monde en 1983 à Helsinki, les choses se passent mieux. Pointé au neuvième rang du classement des médailles à Rome, l’athlétisme suisse étonne à nouveau en se classant devant la France, l’Allemagne de l’Ouest ou l’Espagne; excusez du peu ! Malgré une pyramide peu large à sa base, l’élan est donné par des athlètes d’exception que sont Werner Günthör, Pierre Délèze, Sandra Gasser et Cornelia Bürki. Grâce à eux, mais aussi à Markus Ryffel, Roland Dalhäuser ou Stephan Niklaus, l’athlétisme suisse a sûrement vécu, en ces années ’80, son âge d’or.

L’affaire Sandra Gasser
Ce climat euphorique est abruptement interrompu le 24 septembre, lorsqu’on apprend une nouvelle qui fait l’effet d’une bombe : les résultats d’un contrôle antidopage effectué sur la Bernoise Sandra Gasser lors des championnats du monde de Rome se seraient avérés positifs ! Georg Kennel, le président de la F.S.A., a immédiatement exigé une contre-expertise, qui doit être réalisée, comme la première, à Rome. Il semblerait également que des irrégularités aient été commises dans l’appréciation de l’analyse. C’est pour cette raison que la F.S.A. avait décidé de ne rien dévoiler avant que le résultat de la contre-expertise ne soit connu. Mais des indiscrétions ont fait éclater cette affaire, qu’il convient désormais d’appeler l’affaire Sandra Gasser.
L’athlète a été mise au courant le 12 septembre à Kloten par Hansjörg Wirz, le directeur de la F.S.A., alors qu’elle était de retour de Bruxelles où elle avait remporté la veille le mile en 4’23″83 (record suisse). Obligée à prendre position, elle nie catégoriquement l’absorption d’un produit quelconque : «Je n’ai rien pris, je le jure !». Le contrôle aurait révélé une dose extrêmement élevée de stéroïdes anabolisants. Pour les spécialistes de la question, une telle absorption n’a aucun sens. Les stéroïdes anabolisants sont en effet utilisés comme engrais musculaire à longue échéance. L’administration de telles substances peu avant une compétition n’aurait pas l’effet souhaité. Aucun athlète, même déterminé à se doper, ne prendrait une telle quantité de stéroïdes quelques jours avant une finale de championnats du monde.
Cette affaire Sandra Gasser, il est vrai, est vraiment troublante car des zones d’ombres apparaissent sous plusieurs angles. Elle a en tous cas suscité, dans le monde de l’athlétisme suisse, un véritable front de solidarité. Déterminée à prouver son innocence, Sandra Gasser va se battre en utilisant tous les moyens légaux possibles. Il va se passer neuf mois durant lesquels Sandra Gasser, la F.S.A., l’I.A.A.F. et les différents tribunaux vont argumenter et se renvoyer la balle, à la manière des meilleures séries TV actuelles. Finalement c’est en juin 1988 que retentit le dernier round pour Sandra Gasser. Son combat épique face à l’I.A.A.F. connaît son dénouement à la High Court de Londres. Hélas la plainte qu’elle avait déposée à l’encontre de l’I.A.A.F. a été repoussée dans son entier. Sa suspension jusqu’au 5 septembre 1989 est donc confirmée. Sandra Gasser doit en outre supporter tous les frais de ce procès, d’un montant total d’environ 250’000 francs !
Après avoir été bannie des pistes d’athlétisme durant deux ans, Sandra Gasser est de retour le 6 septembre pour une course officielle. Au Wankdorf à Berne, devant 4000 spectateurs, elle remporte le 800 m en 1’59″35, douzième performance mondiale de l’année. Une semaine plus tard, elle court à Jerez un fabuleux 1000 m en 2’31″51, à 89 centièmes du record du monde. Oui, Sandra Gasser est de retour, plus forte qu’il y a deux ans ! Outre la revanche qui l’anime, l’entraînement qu’elle s’est imposé durant cette période de suspension semble avoir payé. Mais la dose a peut-être été trop grande car elle doit maintenant lever le pied à cause d’un tendon d’Achille qui siffle !

PAB

Résultats

Hommes
400 m : 11. Marcel Arnold (LC Zürich) 45″76 en séries, 45″76 en quarts de finale et 45″26 (record
suisse) en demi-finales
800 m : Gert Kilbert (TV Unterstrass) 1’48″48 en séries et DNF en quarts de finale
1500 m : 21. Markus Hacksteiner (TV Windisch) 3’42″04 en séries
28. Peter Wirz (ST Bern) 3’43″00 en séries
5000 m : 4. Pierre Délèze (LC Zürich) 13’28″06 / 13’24″07 en séries
19. Markus Ryffel (ST Bern) 13’33″07 en séries
10000 m 17. Markus Ryffel (ST Bern) 28’34″58
110 m haies : 28. Fabien Niederhäuser (CA Courtelary) 14″04 en séries
Jean-Marc Muster (LAC Bienne) DNF en séries
Hauteur : 17. Roland Dalhäuser (LC Zürich) 2,24 m en qualifications
Poids : 1. Werner Günthör (ST Bern) 22,23 m / 20,66 m en qualifications
Décathlon : 11. Beat Gähwiler (LC Turicum) 8’034 p
(11″29 – 7,20 m – 14,59 m – 1,92 m – 49″54 | 14″83 – 43,24 m – 4,80 m – 63,28 m – 4’20″87
Marathon : Bruno Lafranchi (ST Bern) DNF
Femmes
1500 m : 4. Cornelia Bürki (LC Rapperswil-Jona) 3’59″90 (record suisse) / 4’08″39 en séries
Sandra Gasser (ST Bern) DQ pour dopage (3’59″06 annulés) / 4’05″48 en séries
3000 m : 4. Cornelia Bürki (LC Rapperswil-Jona) 8’40″31 / 8’47″95 en séries
10000 m : 11. Martine Oppliger (CA Courtelary) 32’07″49 (record suisse) / 33’22″25 en séries
100 m haies : 16. Rita Heggli (LC Zürich) 13″32 en séries et 13″20 en demi-finales
Javelot : 21. Denise Thiémard (GG Bern) 56,34 m en qualifications
Marathon : 18. Genoveva Eichenmann (GG Bern) 2:43’07

 

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