ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE PHILIPPE CLERC / BONUS | Rencontre avec le premier champion d'Europe de l'histoire de l'athlétisme suisse.

Le samedi 8 juillet 2023, ATHLE.ch « VINTAGE a eu la chance de pouvoir rencontrer Philippe Clerc. Après une magnifique ballade au bisse historique de Savièse, puis une succulente raclette, nous avons passé en revue la carrière du sprinter du Stade Lausanne. Ce moment mémorable est retranscrit ci-après :

ATHLE.ch « VINTAGE : À tes débuts, quelles étaient les conditions d’entraînement à Villeneuve ?
Philippe Clerc : «On n’avait pas grand-chose. On était toléré sur l’unique terrain de foot du FC Villeneuve. En hiver, quand les conditions étaient limites, on courait aller et retour jusqu’au château de Chillon. En fait on faisait un peu de tout, du sprint, des footings, du saut en longueur, mais sans talent».

ATHLE.ch « VINTAGE : À ce moment-là, qui étaient tes athlètes préférés au niveau mondial ?
Philippe Clerc : «L’Italien Livio Berruti, le champion olympique du 200 m en 1960 à Rome. Je l’avais connu après coup et c’est un type extrêmement agréable. Par contre on avait même pas la télévision en 1964, donc je ne me souviens pas des exploits de l’Américain Bob Hayes lors des Jeux Olympiques de Tokyo».

ATHLE.ch « VINTAGE : À la fin de la saison 1965, tu quittais ton club pour aller au Stade Lausanne. Qu’est-ce qui t’a le plus marqué dans la méthode de l’entraîneur Dave James ?
Philippe Clerc : «Il y avait un groupe qui faisait du sprint et je m’entraînais avec eux. Au début j’écoutais ce que nous disait Dave James, mais très vite j’ai commencé à douter de ses théories. Je pensais que c’était un mythomane psycho…».

ATHLE.ch « VINTAGE : Tes premiers podiums suisses en élite à Lugano en 1966 ont certainement dû provoquer en toi un déclic important ?
Philippe Clerc
: «Les championnats suisses à Lugano, c’était la première fois que je faisais un déplacement aussi important. Mon titre suisse du 200 m avait mal passé outre-Sarine car ils ne juraient que par Ruedi Oegerli (BTV Aarau)». Mais ils m’ont pris dans l’équipe suisse du 4 x 100 m.

ATHLE.ch « VINTAGE : Justement tu avais pris part au 4 x 100 m des championnats d’Europe de Budapest en 1966, mais le témoin n’est pas arrivé au bout entre Hans Hönger et Max Barandun. Était-ce un crève-cœur de ne pas avoir pu courir sur 200 m, au profit de ce relais ?
Philippe Clerc : «En fait, la fédération avait oublié de m’inscrire pour le 200 m ! Et je ne me rappelle pas forcément avoir couru ce relais ! J’ai finalement fait un joli voyage à Budapest… Là-bas, le lanceur de marteau Ernst Ammann et le décathlonien Werner Duttweiler avaient l’intention de vendre une vingtaine de montres suisses. Apprenant cette histoire, l’ancienne copine d’Ammann (une hongroise) les a dénoncé aux douanes et les deux Suisses ont passé une nuit en prison !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Le 20 mai 1967 à Vidy, tu bats pour la première fois Dave James…
Philippe Clerc : «Oui, je l’a battu lors de cette course et je pense qu’il a toujours été dans mon dos à partir de ce moment-là».

ATHLE.ch « VINTAGE : Comment s’est passé cette émission « Avant-Première Sportive à la télévision romande en 1967 et comment était Boris Acquadro avec toi ?
Philippe Clerc : «C’était préparé à l’avance avec Boris, mais vu les balbutiements de la télévision à cette époque, je ne me rendais pas vraiment compte d’une éventuelle notoriété après cette émission. La preuve que personne ne me connaissait : un jour, j’avais accompagné des copains qui faisaient de la natation et qui voulaient savoir comment se qualifier pour les championnats suisses universitaires. Je les avais accompagné quand ils étaient allés voir le responsable, M. Claude Bucher. J’en avais profité pour connaître les critères pour l’athlétisme. Il m’avait demandé pour quelle épreuve ? J’avais répondu pour le 100 m, mais il m’avait rétorqué que je n’avais aucune chance d’y arriver. J’avais demandé pourquoi et il m’avait répondu qu’il y avait déjà Dave James et Philippe Clerc…».

ATHLE.ch « VINTAGE : Durant l’hiver 1968, tu étais pris entre tes études de médecine et ta préparation; ton début de saison n’avait pas été flamboyant. Comment avais-tu vécu cette période ?
Philippe Clerc : «Ce n’était pas facile car je devais tout faire. Une fois, le président du Stade Lausanne, M. Brunschweig, me demanda de participer à une rencontre interclubs en France, en me disant que c’était tout près, à Aix. Je ne voulais pas faire ce voyage car j’avais des examens; pourtant j’avais finalement accepté d’y participer. Mais deux jours avant, il m’avait dit que c’était à Aix-en-Provence et non à Aix-les-Bains… J’avais dû me taper les sept heures de car et je m’étais claqué là-bas ! Ça avait effectivement compliqué la suite de ma saison».

ATHLE.ch « VINTAGE : Les résultats enregistrés lors de la « nuit de la vitesse » en 1968 à Sacramento ont fait date dans l’histoire de l’athlétisme. Comment avais-tu accueilli ces news, sachant que certains chronos étaient un peu surfaits ?
Philippe Clerc : «Ça ne m’avait fait aucun effet car les médias suisses n’en avaient pas parlé !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Le tartan est arrivé en juin 1968 à Zurich comme étant une fort belle révolution dans le monde de l’athlétisme. Est-ce que tu avais pu t’y habituer rapidement ? Était-ce difficile de retrouver le week-end suivant une piste en cendrée ?
Philippe Clerc : «Ça ne changeait pas grand-chose au niveau de ma foulée, j’étais plutôt bien sur la cendrée. Je dirais que le tartan a délibérément changé le physique des sprinters. Avant le tartan, le gars puissant de 100 kilos s’enfonçait dans la piste. Avec l’arrivée du tartan, sa foulée rebondissait de manière plus favorable. Mes 60 kilos ne produisaient donc pas le même rendement». Le tartan était bien en cas de pluie car ça donnait les mêmes conditions pour tous, surtout au couloir numéro 1.

ATHLE.ch « VINTAGE : Bien que tu aies tout tenté, il n’y a pas eu de sélection pour toi pour les Jeux Olympiques de Mexico en 1968. On avait alors prétendu que tu voulais arrêter l’athlétisme, est-ce vrai ?
Philippe Clerc : «La fédération suisse demandait de réaliser trois fois 10″3. Je les avais fait deux fois et je n’ai pas pu aller à Mexico. Lors du dernier meeting à Lausanne, juste avant les Jeux, il y avait le Malgache Jean-Louis Ravelomananstoa et je l’avais battu. À Mexico, il a fait huitième de la finale du 100 m. Bon, je dois avouer que ça ne m’avait finalement pas trop dérangé car ma sœur avait eu un accident de voiture et elle avait été plongée quinze jours dans le coma. C’était fin août-début septembre; c’était donc mieux que j’y aille pas».

ATHLE.ch « VINTAGE : Je suppose que tu avais pu suivre à la télévision les exploits à répétition qui s’étaient déroulés au stadio Olimpico ? Ton opinion également sur les événements extra-sportifs qui s’y sont produits, avant et pendant les J.O. ?
Philippe Clerc : «Oui j’avais vu ces Jeux à la télévision. Pour les Noirs-Américains, c’est vrai qu’ils ont eu des situations défavorisées et j’admets qu’ils aient eu une révolte. À la limite, c’était leur seule façon de la montrer. Avec la génération suivante, pour des problèmes similaires, je pense que c’est devenu bien différent. Smith et Carlos, eux, c’étaient des purs».

ATHLE.ch « VINTAGE : Le 4 juillet 1969 fut un grand moment de gloire pour toi au Letzigrund, avec le record d’Europe du 200 m en 20″3. Était-ce prévu que tu coures aussi vite lors de cette soirée magique ?
Philippe Clerc : «À l’époque, c’était la première année dans mes études où il n’y avait pas de stage pratique. Il n’y avait que des cours avec des petites branches. Je n’avais donc pas de pression. J’étais donc bien plus libre pour l’athlétisme. C’est vrai que quand tu es stagiaire en chirurgie, il faut rester debout pendant six heures. Avant Zurich, j’avais gagné à Formia, puis à Rome et à Paris. J’étais bien».

ATHLE.ch « VINTAGE : En 1969 à Stuttgart, tu es convoqué dans l’équipe d’Europe pour affronter les États-Unis. Voilà une sélection que tu désirais obtenir par-dessus tout. Je pense que tu en est fier car jamais aucun Suisse dans l’histoire n’avait réussi à revêtir le maillot blanc floqué du grand « E ».
Philippe Clerc : «Les sélectionneurs ne pouvaient pas ne pas me prendre. Il y avait avec moi l’Allemand Jochen Eigenherr que j’avais toujours battu».

ATHLE.ch « VINTAGE : Les championnats d’Europe d’Athènes en 1969 représentaient le plus grand but de ta carrière jusqu’à présent. Alors ce 100 m, pensais-tu pouvoir le gagner ?
Philippe Clerc : «Ma plus belle course à Athènes, c’était incontestablement la demi-finale du 100 m. J’avais couru contre Valeriy Borzov et je me sentais léger. J’étais devant et je le regardais courir; le public avait même rigolé !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Penses-tu avoir construit un véritable monument au stade Karaiskakis en remportant le 200 m des championnats d’Europe ?
Philippe Clerc : «Si on fait une gradation, c’est effectivement le mieux que j’aie fait».

ATHLE.ch « VINTAGE : En 1969, tu reçois le prix de sportif suisse de l’année. Ta notoriété était enfin reconnue dans tout le pays. Comment avais-tu accueilli ce véritable honneur décerné par les journalistes suisses ?
Philippe Clerc : «Je ne réalisais pas vraiment. Mais ça m’a quand même fait plaisir, cette sorte de reconnaissance. Un truc me revient suite à cet honneur : les journalistes suisses-allemands avaient demandé à Meta Antenen si elle était contente pour moi, mais la Schaffhousoise avait déclaré que ça aurait été mieux que le lauréat soit Clay Regazzoni (le pilote de F1)».

ATHLE.ch « VINTAGE : En 1970, Boris Acquadro te cuisinait une nouvelle fois lors d’une très longue interview en direct à la TV, pour l’émission « Caméra-Sport ». C’était comment cette fois-ci ?
Philippe Clerc : «On a un peu philosophé sur l’histoire du sport. Je m’entendais bien avec Boris, on s’admirait mutuellement. Bon, des fois, on le chambrait un peu parce que c’était quelqu’un qui avait un enthousiasme un peu naïf, quelque part. Mais c’était un formidable animateur de télévision».

ATHLE.ch « VINTAGE : La ville de Lausanne a construit en 1969 un nouveau stade d’athlétisme à Vidy-Ouest, mais bizarrement en cendrée. Est-ce que tu t’étais étonné qu’il n’y ait pas eu du tartan et qu’il faille attendre 1977 pour qu’un tel revêtement soit enfin posé (et même jusqu’en 1986 pour la Pontaise) ?
Philippe Clerc : «La ville de Lausanne a construit ce nouveau stade à Vidy et ils voulaient effectivement le faire en tartan. Mais le Lausanne-Sports a fait des histoires : ils ont dit non, le vrai stade pour l’athlétisme, c’est celui de la Pontaise. La municipalité m’a posé la question et j’ai dit que s’il veulent un stade pour des compétitions internationales, ce qui est important ce sont les tribunes pour les spectateurs. Alors les collines de terre à Vidy, ça va pas aller. S’il faut lancer l’athlétisme à Lausanne, il faut le faire en-haut. Il y a eu d’innombrables séances avec la municipalité et finalement, pour avoir la paix, je leur ai dit de faire comme ils le veulent».

ATHLE.ch « VINTAGE : Retour à Zurich, une année après ton record d’Europe. Là, tu égalais ton record suisse du 100 m en 10″2. Un peu avant dans la première série, Fabrizio Pusterla (SFG Lugano) en avait fait de même, mais son chrono avait été sujet à réclamation suite à son « rolling start ». En avais-tu parlé avec lui ?
Philippe Clerc : «Oui, il étudiait lui aussi à Lausanne».
ATHLE.ch « VINTAGE : Tout comme sa fille Irene 40 ans plus tard.
Philippe Clerc : «Ah ! La sauteuse en longueur, c’est sa fille ? Je ne le savais pas ! Ah d’accord, son talent a été bénéfique. Bon, en confrontation directe, il ne m’avait jamais battu. Donc ses 10″2 ne m’avaient pas dérangés. Le seul truc qui m’avait ennuyé, c’est que pour le 100 m de la Coupe d’Europe à Zurich où il y avait également Borzov, la fédération avait choisi de le sélectionner à ma place et il avait été lamentable…».

ATHLE.ch « VINTAGE : En été 1970, tu as dû réaliser un stage à l’Université de Zurich. Tu as changé de club et tu as choisi le TV Unterstrass plutôt que le LC Zürich; y a-t-il une raison à cela ?
Philippe Clerc : «Il y avait à Zurich un type que j’appréciais moyennement, qui s’appelle Hoffmann; c’était le président du LCZ. À l’Unterstrass, je connaissais bien le coureur de 800 m Marco Montalbetti et il y avait un bon sprinter qui s’appelait Bruno Hiestand. Bon, ils avaient un groupe animé par un gentil type qui s’appelait Peter Tobler, mais je m’entraînais souvent seul, avec ma philosophie. Un autre aspect important résidait dans le fait que le Letzigrund était une enceinte surchauffée en été. Par contre le Sihlhölzli c’était nettement mieux en étant au bord de la rivière».

ATHLE.ch « VINTAGE : En août 1970, il y avait aussi eu cette histoire de taquets au départ. Tu pensais que ça pourrait pu passer auprès de l’I.A.A.F. ?
Philippe Clerc : «J’étais en tous cas convaincu que ça me donnerait un avantage».

ATHLE.ch « VINTAGE : À Wallisellen en 1970, ta course de 400 m bouclée en 47″3 avait-elle fait naître en toi des envies de tour de piste ?
Philippe Clerc : «Lors de cet interclubs, j’avais battu Hansjörg Beiner qui était le champion suisse en titre. Mais non, rien du tout pour le 400 m. J’étais uniquement là pour ramener des points».

ATHLE.ch « VINTAGE : Les Universiades en 1970 à Turin auraient dû t’apporter nettement mieux, n’est-ce pas ?
Philippe Clerc : «Il faut dire que j’étais arrivé malade à Turin; j’avais une angine. J’avais quand même fait la finale du 100 m. Mais pour le 200 m, que je ne voulais pas faire car j’étais ratiboisé, je m’étais traîné en 22 et quelques et les dirigeants du sport universitaire suisse voulaient me suspendre. Après Tokyo en 1967 et maintenant Turin, je n’avais pas vraiment brillé avec l’uni…».

ATHLE.ch « VINTAGE : En 1971, Valeriy Borzov te chipe le record d’Europe du 200 m…
Philippe Clerc : «Pas de problème, un record est fait pour être battu».

ATHLE.ch « VINTAGE : Un retour en forme bienvenu aux championnats suisses à Bâle en 1971, où il y a aussi eu l’affaire des starting-blocks qui ne tenaient pas dans le tartan lisse de la Schützenmatte.
Philippe Clerc : «C’est vrai, ils avaient amené ces starting-blocks, qui étaient très mal conçus. Les pointes étaient beaucoup trop petites et si c’était pas bien enfoncé, ça pouvait glisser. Après coup il y avait un trou dans le tartan et on pouvait mettre un clou à l’avant pour que l’ensemble puisse tenir. En 1972, j’aurais voulu être exempté d’un match en Espagne car j’avais une fête le vendredi soir en compagnie des copains de médecine avec qui j’avais passé sept longues années d’études. J’avais été autorisé par la fédération à venir le jour même à Madrid et lors du 100 m, une aventure similaire m’était arrivée : les starting-blocks étaient partis en arrière et moi j’avais fini à plat ventre. Du coup mes copains avaient bien rigolé en voyant ça dans les journaux».

ATHLE.ch « VINTAGE : Franchement, il n’avait pas manqué grand-chose pour que tu montes sur le podium du 200 m des championnats d’Europe à Helsinki en 1971. Est-ce également ton avis ?
Philippe Clerc : «Peut-être. Disons que les saisons 1970 et 1971 étaient des années de stages, donc j’étais vraiment fatigué. À la fin de la journée, je n’avais pas envie d’aller faire encore du sport».

ATHLE.ch « VINTAGE : Meta Antenen a été incroyable à Bâle (6,81 m avec trop de vent), puis à Helsinki (6,73 m) ? Comment juges-tu le battage médiatique qu’il y a eu autour d’elle ?
Philippe Clerc : «Elle a eu une carrière complète. Elle a été victime d’un certain fair-play lors des championnats d’Europe à Helsinki. Elle a toujours raconté l’histoire du dernier essai d’Ingrid Mickler alors qu’elle se trouvait en tête du saut en longueur. Meta avait aimablement autorisé l’Allemande de patienter un peu, après avoir couru le 4 x 100 m, pour exécuter ce dernier saut. Finalement elle a été battue pour trois centimètres. Mais elle avait reçu des prix pour son fair-play. Je l’avais revue en 2014 à l’occasion des championnats d’Europe à Zurich et je lui avait dit que c’était quand même dommage ce qui lui était arrivé. Mais Meta m’a répondu : tu parles, c’était dégueulasse !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Tes examens finaux régulaient ta vie au début de l’année 1972. Est-ce qu’on pouvait penser aux Jeux Olympiques dans ces moments-là ?
Philippe Clerc : «Oui, c’était compliqué lors qu’on révisait, mais pendant les examens ça ne me dérangeait pas trop; j’étais même plein d’espoirs pour la saison. Je étais allé à Turin pour courir un 200 m contre Pietro Mennea et on a fait les deux 20″5. J’avais deux mètres d’avance sur lui en sortie de virage. J’étais confiant, mais lorsque mes examens étaient derrière moi, j’avais fait une espèce de burn out et j’étais complètement raide. J’avais de la peine à courir sous les onze secondes !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Jean-Louis Ravelomanantsoa, le huitième de la finale du 100 m des Jeux Olympiques de Mexico, t’avait donné quelques précieux conseils, notamment pour le départ. C’était l’un de tes bons amis sur le circuit international ?
Philippe Clerc : «Non, je l’avais finalement vu que deux fois. Serge Vagnière, un des sprinters du Stade Lausanne, avait fait connaissance avec ce gars et c’est lui qui l’avait fait venir à Lausanne en vacances».

ATHLE.ch « VINTAGE : Pour moi, c’est la photo de ton départ aux championnats suisses de Genève en 1972 qui a fait naître en moi l’envie de l’athlétisme. De ton côté, tu réalisais ton troisième doublé consécutif, c’est remarquable…
Philippe Clerc : «Oui, oui. En ce qui concerne la photo, c’est vrai qu’elle est intéressante. Tu prends mes adversaires de l’époque, le Polonais Zenon Nowosz ou le Zurichois Reto Diezi, ces types ils sont bien proportionnés. Tu compares avec maintenant, c’est plus le même genre d’athlètes !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, avec un peu de chance, tu aurais pu atteindre les demi-finales, tant sur 100 m que sur 200 m. Penses-tu être l’un des dommages collatéraux du mauvais coup qui avait affecté les Américains Eddie Hart et Rey Robinson en quarts de finale du 100 m ? Et aussi, étais-tu encore à Munich lorsqu’il y a eu l’Opération Septembre Noir ?
Philippe Clerc : «Oui, les Américains sont restés endormis (NDRL : en fait, ils se trouvaient dans les studios d’ABC et ils ont vu à la TV que leurs courses allaient bientôt débuter. Les organisateurs avaient interverti le 10000 m et ces quarts de finales du 100 m, sans que l’entraîneur Stan Wright en ait été informé. Ils ont foncé vers le stade, mais c’était trop tard…). Après, sur ce qui s’est passé à Munich, il faut dire que les Allemands étaient mal pris avec leur passé de 39-45; alors ils ne voulaient surtout pas passer pour un état policier. Les contrôles, c’était rien du tout. T’avais un training, tu passais ! Durant ces événements sombres, on était encore là. On a vu les hélicoptères s’envoler pour aller à l’aéroport ou un truc comme ça. Et puis tu vois, ce n’était pas encore la télévision de maintenant où tu as tout en direct. On recevait plutôt les nouvelles par la radio».

ATHLE.ch « VINTAGE : Après les Jeux Olympiques de Munich, le boss du sprint était en fait un tsar. Avais-tu des bons contacts avec Valeriy Borzov ?
Philippe Clerc : «Oui, j’avais une bon relation avec lui. On communiquait en anglais».

ATHLE.ch « VINTAGE : Tu décides d’arrêter l’athlétisme après les Jeux Olympiques. Cette décision survenait-elle après la déception de Munich ou avait-elle été mûrement réfléchie ?
Philippe Clerc : «Il fallait que je travaille, aussi ! J’étais allé durant huit mois dans un hôpital en Angleterre. J’allais des fois faire un peu de jogging à côté».

ATHLE.ch « VINTAGE : Ton come-back en 1974, tu le voyais quand même un peu plus flamboyant ? On peut dire que le 100 m de Zofingue en 1975 fut ta dernière grande course. Un souvenir particulier après avoir à nouveau battu tous les meilleurs sprinters suisses ?
Philippe Clerc : «C’était dans une période où mon beau-père a fait un infarctus. Il a fallu s’en occuper et ça a été la fin de ma carrière».

ATHLE.ch « VINTAGE : Tu as mis un terme à ta carrière en 1975, à même pas 29 ans et surtout sans regrets. Est-ce que ça a été toujours le même sentiment jusqu’à aujourd’hui ?
Philippe Clerc : «Ouais… D’un côté, je ne dis pas que j’ai un regret; mais je dis que ça aurait été différent. Tu prends une athlète comme Mujinga Kambundji par exemple, à 23 ans elle faisait des temps qui n’étaient pas terribles. Et puis à 30 ans, elle est au top niveau mondial. Moins j’étais au top à 23 ans. Il faut dire que je n’aimais pas m’entraîner. J’aime aller bouger un peu. La compétition, c’était une façon de se connaître, c’était un jeu quelque part. Après 1969, j’avais d’autres cercles d’intérêt et de culture. Financièrement, l’athlétisme n’apportait rien du tout. Et la médecine, c’est comme le sport : tu es obligé d’avoir une progression si tu veux avoir un poste».

ATHLE.ch « VINTAGE : Tout au long de ta carrière, tu as eu un confident hors normes en la personne du journaliste Michel Busset (Feuille d’Avis de Lausanne, le futur 24 Heures). Est-ce que la relation était aussi forte qu’on a bien pu le supposer ?
Philippe Clerc : «Ah oui ! Il venait s’entraîner avec moi. Il venait à tous les meetings et c’était souvent mon chauffeur (rires). La notion d’amitié, avec le recul des années, je peux dire qu’on ne se faisait pas vraiment de confidences. On parlait juste de sport, mais on a pas vraiment philosophé».

ATHLE.ch « VINTAGE : Est-ce que tu suis aujourd’hui l’athlétisme suisse ? Tu nous parles de Mujinga Kambundji…
Philippe Clerc : «Je la connais parce qu’elle allait au jardin d’enfant avec notre fils du côté de Niederwangen !».

ATHLE.ch « VINTAGE : Merci Philippe de nous avoir accueillis dans le cadre idyllique des hauts de Savièse. On vient de passer un grand moment en évoquant la fantastique carrière du tout premier champion d’Europe de l’athlétisme suisse ! As-tu quelque chose à ajouter en guise de conclusion ?
Philippe Clerc : «Le plus important c’est le chemin, plus que le but».

Propos recueillis par Pierre-André Bettex le 8 juillet 2023, avec la complicité de Michel Herren et de Hans Pfäffli.

PAB

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Philippe Clerc

TitreSaisonThèmeSitePDF
Accueil1961-1975Philippe Clerc, sur la voie express
Episode 11961-1965Les années jeunesse
Episode 21966Avènement au niveau national
Episode 31967Comme un albatros sur le Léman
Episode 41967Un prestigieux record suisse égalé
Episode 51968Un sprinter en difficulté
Episode 61968Une quête olympique désespérée
Episode 71969Un exploit monumental à Zurich
Episode 81969La star des championnats d'Europe
Episode 91970Une année de transition
Episode 101971Un sprinter rattrapé par ses doutes
Episode 111971Un titre européen à défendre
Episode 121972Un diplôme de médecine avant les J.O.
Episode 131972Les Jeux Olympiques et un mariage
Episode 141973Une année sabbatique
Episode 151974-1975Un retour loin du niveau international
Bonus08.07.2023Rencontre avec un sprinter exceptionnel

 

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