ATHLE.ch VINTAGE | BIOGRAPHIE PHILIPPE CLERC / ÉPISODE 15 | Au milieu des années '60, un athlète fort prometteur nommé Philippe Clerc débarque au Stade Lausanne. Très vite le jeune sprinter va progresser en autodidacte pour devenir l'un des cadors du sprint mondial de 1969 à 1972 ! ATHLE.ch «VINTAGE propose de revivre la carrière exceptionnelle d'un athlète pris entre les deux feux de ses études de médecine et du top niveau mondial du sprint. Le dernier des quinze épisodes de cette biographie est consacré au retour en compétition de Philippe Clerc lors des saisons 1974 et 1975.

Philippe Clerc de retour sur les stades ? Voilà une affaire qui prend de l’ampleur en ce début de saison 1974. Personne n’y croit vraiment; mais le 14 mai, le Lausannois débarque sans prévenir à Genève pour une petite réunion. À Champel, tout le monde est interloqué : «Tiens, toi par ici ? C’est bien la dernière chose à laquelle je m’attendais. Surtout dans cette tenue et souliers à pointes aux pieds». Il est vrai que la surprise est grande pour ceux qui l’avaient déjà classé parmi les vieilles gloires de l’athlétisme suisse au lendemain des Jeux Olympiques de Munich. Elle l’est en revanche moins pour ceux qui fréquentent régulièrement les installations sportives de Vidy et qui, depuis quelques bonnes semaines, ont pu le voir s’entraîner; non pas comme en 1969 ou en 1972, mais tout de même sérieusement. Après une saison d’inactivité, il n’y a pas besoin d’être un grand devin pour penser que si Philippe Clerc se retrouve sur une piste d’athlétisme, c’est bien parce qu’il a une idée derrière la tête. Ce n’est donc pas par hasard s’il est descendu à Genève pour courir un 200 m. Il s’agit en fait de la première étape d’un plan prospectif au terme duquel on saura si Philippe Clerc tente réellement un come-back et si Messieurs Diezi, Fähndrich et Muster doivent se remettre à trembler. Pour l’instant, il faut constater que Clerc a été battu par Luc-André Jotterand (CA Genève), d’un rien, en 21″7. On en saura plus dans les semaines qui suivent.
Le jeudi 23 mai, une partie de l’élite athlétique suisse s’est donné rendez-vous pour le meeting de l’Ascension à Küsnacht. En pleine période de rodage, Philippe Clerc ne se cache pourtant pas et affronte volontiers Reto Diezi et Peter Muster sur leurs terres. Sous une pluie battante, la course est limpide; les trois hommes partent bien, mais rapidement les deux Zurichois se détachent et, malgré un joli retour, le Lausannois est battu : 10″5 pour Muster, 10″6 pour Diezi et 10″8 pour Clerc. Un peu moins à l’aise qu’à Genève, il n’est pas forcément déçu de sa performance : «Je ne m’attendais pas être plus rapide que Muster et Diezi. Mais il était indispensable que je me frotte à des athlètes de valeur nationale, ne serait-ce que pour reprendre le rythme de la compétition, qui me fait actuellement défaut. L’expérience ne s’est pas révélée mauvaise. Je crois que je suis en bonne condition. Quand le rythme sera vraiment là, je devrais pouvoir obtenir de bons résultats». Il est intéressant de relever qu’il y a dix-neuf mois que Philippe Clerc n’avait pas couru un 100 m en-dessous des onze secondes.
La situation s’améliore encore deux jours plus tard lors des championnats vaudois à Vidy, où pour la première fois dans cette compétition, les temps sont pris électriquement. Le Stadiste s’offre un joli doublé (10″81 et 21″89) avec de surcroît une excellente impression qui laisse augurer un come-back qu’il se refuse encore à annoncer officiellement, mais qui apparaît aujourd’hui comme quasi certain. D’ailleurs son temps sur 100 m est le meilleur qu’il ait réalisé sur cette piste de Vidy-Ouest. Il y a des signes qui ne trompent pas, mais ce serait aller vite en besogne de dire qui est déjà revenu à son meilleur niveau.
Après un meeting régional, un autre à caractère national et un championnat cantonal, voici une nouvelle étape dans le processus de retour de Philippe Clerc, avec une compétition internationale le 1er juin à Turin. Crédité de 10″8 sur 100 m, il enchaîne avec un 21″5 sur 200 m, mais il est victime d’une contracture qui doit le faire renoncer à la finale. Il se soigne efficacement, ce qui lui permet d’être présent le 5 juin à Aarau pour un meeting de sélection. Le 100 m est très intéressant avec Diezi, Fähndrich et Clerc. Comme à Küsnacht, le Lausannois est distancé aux 50 mètres, mais il revient très fort au prix d’une allure des meilleurs jours. C’est bien sûr insuffisant pour inquiéter Diezi, excellent en 10″4; ex-aequo avec Fähndrich en 10″6, Clerc pensait ensuite courir un bon 200 m. Hélas les conditions météorologiques sont devenues catastrophiques au Schachen Stadion et il a sagement renoncé. Il faudra patienter un mois avant de le revoir en piste puisqu’il part en vacances en Angleterre durant tout le mois de juin.
Le retour de Philippe Clerc est programmé pour le 6 juillet à Zurich avec un meeting sur le petit stade de l’Utogrund. Visiblement il a bien pu s’entraîner du côté de Londres car sa foulée a semblé très facile lors de son 100 m. Battu d’un dixième par Fähndrich, Clerc réussit son meilleur chrono de la saison en 10″5.
Le 21 juillet, dans le cadre des championnats suisses de décathlon qui voient Philipp Andres (LV Langenthal) pulvériser le record suisse avec 7’934 points, quelques épreuves individuelles sont également organisées afin d’éviter les temps morts. Philippe Clerc est sans conteste la vedette dans les sprints. Sur 200 m d’abord, il remporte une victoire probante en 21″1, face à Reto Diezi (21″2), Peter Muster (21″3), Beat Schweigruber (21″3) et Hansjörg Ziegler (21″3). Remis sur orbite par ce succès, il s’impose ensuite sur 100 m en 10″5 face à Schweingruber (10″6) et Ziegler, la révélation du mois de juillet (10″7). Philippe Clerc aurait-il vraiment une idée derrière la tête ? Le 3 août à Berne, sur la nouvelle piste en tartan du Wankdorf, le 100 m fait parler la poudre avec un Franco Fähndrich de plus en plus rapide en 10″3. Il devance Jean-Marc Wyss (CA Fribourg) et Peter Muster en 10″4, Philippe Clerc en 10″5 et Dave James, 39 ans, en 10″6.
Alors qu’aux États-Unis le Président Richard Nixon a démissionné de ses fonctions la veille, les championnats suisses se déroulent les 10 et 11 août à Lugano. Huit ans après son premier titre national sur 200 m, Philippe Clerc espère connaître une réussite identique dans ce même stade du Cornaredo. Pour cela il faudrait qu’il soit dans un niveau de forme similaire à celui qu’il possédait il y a cinq semaines à Zurich. Bien que le sprint helvétique n’atteigne plus le niveau européen, il faut dire que la finale du 100 m est de bonne facture. C’est Franco Fähndrich qui s’impose en 10″55 et remporte ainsi son premier titre suisse; ce n’est que justice car il a été le meilleur toute au long de la saison. Le verdict est quand même serré avec Peter Muster deuxième en 10″72, Philippe Clerc médaillé de bronze en 10″74, Beat Schweingruber en 10″76 et Reto Diezi en 10″77. On connaît son tempérament, le Lausannois espérait gagner cette finale et ainsi remporter son dixième titre national (le 100 m de 1968 à 1973 et le 200 m en 1966, puis de 1970 à 1972). Mais en fin de compte, cette troisième place est fort satisfaisante. Le fait d’avoir réduit son entraînement ces derniers temps est facturé cash le lendemain dans les éliminatoires du 200 m. Faute d’avoir récupéré des efforts de la veille, il est absolument incapable de se qualifier pour la finale !
Le meeting international de Zurich – qui s’appelle « Weltklasse » depuis l’an dernier – se déroule le 16 août dans un Letzigrund bondé. Engagé dans le 200 m, Philippe Clerc aurait dû courir dans la deuxième série. Mais, voyant qu’un des couloirs de la première série restait inoccupé (en l’occurrence celui de Zenon Nowosz), il s’y glisse subrepticement et termine la course en septième position en 21″28, soit son meilleur temps de la saison. Hélas la liste des résultats va retenir le nom du Polonais et Philippe Clerc ne sera jamais crédité de cette belle performance.
Cette saison 1974, marquée par un come-back finalement jamais annoncé comme tel, se termine par un bilan qui montre que Philippe Clerc est toujours un sprinter rapide, avec des chronos de 10″5 sur 100 m et 21″1 sur 200 m. La différence par rapport à l’essentiel de sa carrière jusqu’en 1972, c’est que désormais son niveau le laisse bloqué à l’échelon national. Cette situation est toutefois suffisamment satisfaisante pour qu’il décide de rempiler pour une nouvelle saison.

1975, l’ultime saison
Philippe Clerc a pu voir en 1974 qu’un retour à la compétition, après une saison off, n’était pas une chose si aisée à réaliser. Prolonger de gros efforts à l’entraînement pour une saison 1975 uniquement remplie de compétitions à l’échelon national, le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Le doute pourrait s’installer dans son esprit, mais un paramètre important le conforte de son choix de continuer à sprinter : ses conditions professionnelles s’améliorent nettement car il fait désormais de la recherche et ses horaires sont moins chahutés. Il parcourt aussi moins de kilomètres dans les couloirs de l’hôpital, ce qui a fait une différence énorme lors sa préparation en vue de cette nouvelle saison qui débute le 19 avril à Vevey. Son chrono de 11″1 est un classique pour lui à cette période de la saison. Il réédite cette performance trois jours plus tard à Genève, en l’accompagnant également d’un joli 34″7 sur 300 m. Ce chrono indique un bon niveau de forme, qui est concrétisé le 10 mai par un excellent 100 m à Olten. En courant en 10″68, à deux centièmes de Franco Fähndrich, le Lausannois réalise sa meilleure course depuis son retour sur les pistes l’an dernier. Le froid qui règne la semaine suivante lors des championnat vaudois à Yverdon empêche toute confirmation. Le 1er juin à Genève, il est l’artisan d’un magnifique relais 4 x 100 m du Stade Lausanne (avec Marcel Simon, Heinz Witschi et Philippe Bellwald) qui termine troisième avec un joli record vaudois en 41″3. La compétition suivante du samedi 7 juin se déroule toujours avec son club et sur ce même stade pour un essai CSI qui voit Philippe Clerc courir en 10″7 et en 21″3. Le lendemain, il se rend à Zoug pour un 200 m. Poussé par un vent extrêmement fort (+3,8 m/s), Philippe court en 21″19, mais malheureusement il doit rentrer à la maison un peu blessé. Il rejoint surtout sa femme Janet qui accouche le lundi 9 juin d’une petite Nathalie. Toutes nos félicitations aux heureux parents !
Dans l’histoire de l’athlétisme helvétique, le 28 juin 1975 à Zofingue restera à tout jamais le jour où un athlète a atteint la ligne des huit mètres au saut en longueur. Le show de Rolf Bernhard (ATV Frauenfeld) a été fantastique avec 7,99 m (+1,6 m/s) au troisième essai, puis 8,00 m (+1,0 m/s) lors de son ultime tentative. Les bonnes conditions de vent qui règnent sur le petit stade argovien sont également bénéfiques aux sprinters. Et pour la première fois depuis 1972, Philippe Clerc réussit à imposer sa loi face aux meilleurs coureurs de 100 m du pays. Certes il faut avoir recours à la photo-finish pour déterminer le vainqueur, non sans difficultés. Finalement Clerc et Franco Fähndrich terminent ex-aequo en 10″53 (+1,9 m/s). Le Stadiste a pris un départ remarquable, dont il avait perdu depuis bien longtemps l’habitude, et après 70 mètres il tenait les choses bien en main. Cependant la force de la jeunesse du Lucernois l’a fait revenir à la hauteur du Lausannois, mais c’est ce dernier qui lance son buste en premier sur la ligne d’arrivée, pour quelques centimètres seulement. Deux heures plus tard, Fähndrich demande une revanche sur 200 m, mais le duel tourne court car Clerc se ressent de sa blessure et abandonne après 80 mètres de course. Il tente de revenir le 2 juillet à Milan sur 100 m, mais là aussi il doit couper son effort après 20 mètres déjà.
Après une pause nécessaire, Philippe Clerc se déplace le 15 juillet à Genève pour un 100 m qu’il boucle en 10″8. Rassuré par son état de santé, il se rend quatre jours plus tard à Berne où il s’impose sur 100 m en 10″6. Il voit également Rolf Bernhard franchir 8,06 m en longueur ! Le 2 août, à nouveau sur 100 m, le Lausannois n’est cette fois-ci pas dans le coup car sans influx; il termine quatrième en 10″7, loin de Jean-Marc Wyss (CA Fribourg), la nouvelle pépite du sprint suisse. En effet le Fribourgeois est actuellement en bonne forme avec ses 10″5 à Berne. Il enchaîne le 13 août avec un joli 10″4 à Aarau, tandis que Clerc reste bloqué à 10″7. La hiérarchie reste la même lors des championnats suisses qui se déroulent les 30 et 31 août à Olten. Jean-Marc Wyss est royal en 10″61 et devance Peter Muster en 10″66 et Hansjörg Ziegler en 10″74. Philippe Clerc, surpassé par ses jeunes adversaires, termine quatrième en 11″00. Bouté hors du podium du 100 m pour la première fois de sa carrière, le Lausannois n’a pourtant pas à rougir de sa prestation. La manière dont il est revenu au niveau des meilleurs Suisses, avec un entraînement presque dérisoire (jamais de 300 m, jamais de 200 m, mais uniquement des starts et des accélérations sur 60-80 m) permettra-t-il un ultime rebondissement dans une carrière en dents de scie peut-être, mais sans nul doute exceptionnelle ? Car oui, Philippe Clerc se retrouve désormais devant un carrefour. En allant tout droit, il s’offrirait une chance, certes infime, de participer une seconde fois aux Jeux Olympiques, en 1976 à Montréal. En bifurquant à droite, il mettrait un terme à sa carrière d’athlète, pour se concentrer sur sa vie de famille et son travail. Le choix est finalement vite fait et c’est la deuxième solution qui est entérinée.
À même pas 29 ans, Philippe Clerc range donc ses pointes. Il garde cependant un pied dans l’athlétisme en écrivant de temps à autres quelques chroniques dans la « Feuille d’Avis de Lausanne, dans une rubrique intitulée « Les pointes de Philippe Clerc ». Il s’adonne à d’autres sports comme le tennis ou les courses de montagne.

«Pas de regret; l’athlétisme c’était pour moi un hobby, rien de plus…»
À l’heure du bilan de carrière, une question revient alors systématiquement : que ce serait-il passé si Philippe Clerc avait mis de côté temporairement ses études pour se consacrer uniquement au sprint, comme la Fédération le lui a souvent suggéré ? L’intéressé balaie toute forme de regrets ou d’amertume : «Évidemment, si je l’avais fait, j’aurais peut-être atteint un niveau encore supérieur. Par exemple, si j’ai échoué en quarts de finale du 200 m aux Jeux Olympiques de Munich en 1972, c’est sûrement parce que peu avant, j’avais eu une série d’examens qui m’avait empêché de me préparer correctement. Ça été d’autant plus rageant que, trois ans plus tôt, dans de meilleures conditions, j’avais nettement battu celui qui devint alors le double champion olympique sur 100 m et 200 m, le Soviétique Valeriy Borzov. La différence c’est qu’entre-temps, lui était devenu un vrai pro du sprint. Mais je n’ai jamais nourri de regret. Tout sacrifier au sport, m’entraîner comme un forcené, ce n’était tout simplement pas mon truc, pas dans ma mentalité. Jamais je n’aurais pu m’astreindre à une telle discipline. L’athlétisme c’était pour moi un hobby, rien de plus…».

PAB

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Philippe Clerc

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