ATHLE.ch VINTAGE | TIMELINE ILS MÉRITAIENT MIEUX / EPISODE 6 | Tout au long de l'Histoire de l'athlétisme suisse, de magnifiques exploits se sont produits lors des principales compétitions internationales. Hélas on doit également déplorer quelques grands ratés au cours de ces mêmes compétitions, dus à un coup malheureux qui a prétérité des athlètes qui auraient, de toute évidence, mérité mieux que ce qu'ils ont finalement récolté. Parmi les dix événements négatifs les plus marquants de l'Histoire de l'athlétisme suisse, ATHLE.ch VINTAGE retrouve Gaby Andersen-Schiess (Sun Valley) lors des Jeux Olympiques de 1984 à Los Angeles où un gros coup de chaleur va contrecarrer ses plans.

Au début des années ’70, Gabriela « Gaby » Schiess (LAC Rex Zürich) est l’une des deux coureuses helvétiques – avec Marijke Moser (ST Bern) – à s’intéresser au marathon. Elle établit le premier record suisse officiel en 1973 à Braunlingen en 3:09’02″0, mais Marijke Moser s’en empare l’année suivante en 2:59’24″0. Expatriée à Sun Valley aux États-Unis, Gaby s’est ensuite mariée à Dick Andersen. Dans l’Idaho, elle partage ses activités entre la course à pied et, en hiver, des cours de ski qu’elle donne dans la région. Elle réussit 2:57’23″0 en 1977 à Boston, puis 2:54’25″0 en 1978 à Boston, mais l’avènement de Vreni Forster (STV Luzern) – qui fait exploser le record suisse à quatre reprises pour le porter à 2:35’57″0 en 1980 à Sandbach – met Gabriela au second plan. On la retrouve cependant en grande forme en 1983 quand elle remporte d’abord le Marathon International de Californie, puis le marathon de Minneapolis en 2:36’22″0, par une chaleur étouffante, et enfin le marathon de Sacramento où elle signe un nouveau record suisse en 2:33’25″0.

Les Jeux Olympiques 1984 à Los Angeles
À 39 ans, Gabriela Andersen-Schiess est plus forte que jamais et elle se sent prête à défier les meilleures coureuses du monde au cours du marathon des Jeux Olympiques 1984 qui doit se disputer en plein mois d’août dans la fournaise et la pollution de Los Angeles.
Le marathon des Jeux Olympiques de Los Angeles a lieu le 5 août 1984. Plus tôt dans la saison, des voix s’étaient élevées sur les dangers de cette épreuve qui doit se disputer dans des conditions complètement folles. Parmi les lanceurs d’alerte figure Yves Jeannotat, qui demande un changement radical de l’horaire en fixant le départ tôt le matin, voire un transfert de l’épreuve dans un endroit du pays au climat moins aride et pollué. Hélas personne au CIO, ni auprès des organisateurs, ne veut entendre les paroles censées des spécialistes. Comme prévu, la course est incroyablement dure pour toutes les concurrentes et on n’est pas surpris de voir que ce sont les trois meilleures qui se retrouvent sur le podium : l’Américaine Joan Benoit s’est imposée en 2:24’52″0 devant la Norvégienne Grete Waitz en 2:26’18″0 et la Portugaise Rosa Mota en 2:26’57″0. Vingt minutes après l’arrivée de l’Américaine, Gaby Andersen-Schiess entre à son tour dans le stade. Dans les travées du Coliseum, la rumeur gronde tout à coup car on voit la Suissesse en énormes difficultés. Titubant sur la piste, son torse tordu, son bras gauche mou, sa jambe droite désaxée. Ce dernier tour est dramatique car il rappelle évidemment l’arrivée du marathon des Jeux de 1908 à Londres lorsque l’Italien Dorando Pietri était entré dans le White City Stadium totalement étourdi. Aidé par les officiels, il avait été disqualifié pour avoir reçu une aide extérieure. Malgré les signes de la coureuse, le personnel médical présent en bord de piste du Coliseum sait que s’ils la touchent, elle serait disqualifiée… Au bord de l’épuisement total, les médecins s’aperçoivent qu’elle transpire, ce qui signifie que son corps est encore légèrement hydraté; c’est pourquoi ils la laisse continuer. Encouragée comme jamais par les 90000 spectateurs qui crient «Go, go, go !», son calvaire est absolument interminable. Les zig-zags qu’elle effectuent dans la dernière ligne droite sont à la limite du supportable; faut-il vraiment la laisser finir ? La bouche ouverte à la recherche d’oxygène, puis grimaçant de douleur, elle devine qu’elle s’approche de l’arrivée. Les ultimes décamètres passent comme une éternité et, dans un tonnerre d’applaudissements, elle finit par passer la ligne d’arrivée en 2:48’42″0, au terme d’un dernier tour qui aura duré cinq minutes quarante-quatre ! Instantanément prise en charge par le personnel médical, elle est emmenée sur une civière dans l’enceinte du stade, au frais et à l’abri des regards indiscrets.

Deux heures plus tard, on apprend avec soulagement que la Suissesse va bien et qu’elle est tirée d’affaire. Il reste maintenant à comprendre ce qui s’est réellement passé pour en arriver à une situation aussi incroyable. L’explication avancée serait qu’Andersen-Schiess a raté la cinquième et dernière station de ravitaillement et elle s’est inexorablement déshydratée. Elle se serait volontiers passé de ce manquement qui la propulse, bien malgré elle, au rang d’héroïne de ces Jeux Olympiques de Los Angeles. Ce final dramatique, son mari Dick l’a vécu à la télévision, tout en s’insurgeant qu’il aurait fallu l’empêcher de continuer. Quant à la principale intéressée, une fois requinquée, elle décrit ce dernier tour de folie : «Je ne sais pas s’il aurait fallu qu’on m’arrête si près de l’arrivée. Toujours est-il que ce que j’ai vécu après la course, je ne voudrais plus jamais le revivre. J’ai passé au purgatoire ! Tout mon corps me brûlait de façon insupportable, comme si j’étais en feu. Pendant vingt minutes, j’ai terriblement souffert. Les douleurs se sont estompées seulement lorsqu’on m’a enveloppée dans des draps humides». Elle revient également sur le déroulement des derniers kilomètres : «Jusqu’au 38e kilomètre, tout a bien été, je ralentissais simplement un peu car je commençais à ressentir les effets de la chaleur. Mais comme j’avais bu tous les deux kilomètres et demi depuis le départ, je supportais assez bien les conditions de course. Mais ensuite, j’ai manqué le poste de ravitaillement du 40e kilomètre. J’ai vainement cherché une douche tout au long des dernières lignes droites, où il n’y avait pas d’ombre et où le soleil tapait toujours plus fort». Gaby tente de rallier tant bien que mal l’arrivée, mais à 200 m de l’entrée du stade, elle est victime d’un coup de chaleur fatal : «Je me souviens encore m’être traînée un peu plus loin et que les spectateurs crient go, go, go après que j’eus franchis le tunnel. Mais ensuite, il y a un trou dans ma mémoire. Je me disais toujours que l’arrivée était toute proche, mais elle s’éloignait toujours plus… J’avais cessé de penser, je n’étais plus consciente de rien. Je dois dire que je n’ai pas vu les images de la télévision. Je ne sais pas si je vais les regarder; en tous cas pas maintenant car je ne pourrai peut-être pas le supporter psychologiquement. Cela devait être assez épouvantable à voir…». Sur son lit de souffrance au centre médical, elle s’est jurée de ne plus jamais courir un marathon. Mais maintenant qu’elle a repris ses esprits, elle n’en est plus sûre ! Bernhard Segesser, le médecin de la délégation suisse, est optimiste quant à l’avenir de Gaby Andersen-Schiess : «Bien que, personnellement, je l’aurais immédiatement obligée à s’arrêter, afin d’éviter le pire, je dois dire qu’elle a étonnamment récupéré. Des séquelles au niveau des reins sont pratiquement à exclure».
Gaby Andersen-Schiess s’en est tirée d’un souffle et son cas a révélé toute la fragilité des structures de la haute compétition. Structures à l’intérieur desquelles les sportifs ne sont finalement que des pions ou des bêtes de cirque. Alors que Gaby titubait sur le stade, le public en redemandait en criant go, go, go dans une sorte d’hystérie collective. Il ne manquait plus que le pouce de l’empereur pointé vers le bas pour que la scène de mise à mort du Colisée – le vrai, celui de Rome – ne soit imitée à la perfection. Ces images vécues en ce 5 août à Los Angeles ont asséné un coup terrible à la course à pied, une activité pourtant décrite comme étant plus que précieuse pour la santé. Tout ceci à cause de la soif de spectacle de la part d’organisateurs spéculateurs, peut-être bien plus apprentis sorciers qu’aficionados…

Ce coup de chaleur qui a contrecarré les bons plans de Gaby Andersen-Schiess ne permet absolument pas de savoir ce qu’il serait advenu à Los Angeles si elle n’avait pas manqué ce dernier ravitaillement. Quoi qu’il en soit, deux choses sont sûres : elle revient de très loin et elle méritait mieux que ce qui lui est arrivé lors de ces Jeux Olympiques.

PAB

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