La saison 1922 est une année importante pour le sport féminin. Elle s’ouvre comme la précédente à Monte-Carlo, mais un mois plus tard, du 15 au 23 avril 1922. Baptisé en 1921 du nom de Meeting International d’Éducation Physique Féminine, il faudra désormais appeler cette compétition Jeux Athlétiques Internationaux Féminins. Pour cette seconde édition, on dénombre cette fois-ci sept nations (la Belgique et la Tchécoslovaquie sont les nouveaux pays) et plus de 300 participantes. Sur les terrains de l’International Sporting Club de Monaco, Francesca Pianzola lance son javelot de la main gauche et de la main droite un peu moins loin que l’an dernier, mais c’est pourtant suffisant pour remporter une belle victoire avec le total de 39,77 m. À l’issue des sept jours de compétition monégasque, un journal local se plaît à écrire : «Ces Jeux Athlétiques Internationaux Féminins à Monte-Carlo sont le grand attrait de la saison. Saut, course à pied, lancer et danse rythmique, en constituent les principales épreuves, au cours desquelles les jolies concurrentes rivalisent de force, d’adresse et de grâce». Voilà qui tranche très nettement avec les nouveaux propos de Pierre de Coubertin, qui refuse encore et toujours leur participation aux Jeux Olympiques, jugeant que : «des olympiades avec des femelles seraient inintéressantes, inesthétiques et incorrectes. La femme est avant tout une reproductrice destinée à couronner les vainqueurs». Pour Alice Milliat, voilà de quoi être encore plus motivée à démontrer le contraire et elle va pouvoir le prouver à l’occasion du sommet de la saison : les Jeux Olympiques Féminins.
Les Jeux Mondiaux Féminins 1922 à Paris
La première édition de cette compétition se tient le 20 août 1922 à Paris, au stade Pershing, une magnifique enceinte construite en 1919 par les Y.M.C.A. dans les Bois de Vincennes. Initialement baptisés Jeux Olympiques Féminins, ils suscitent également l’indignation de Johannes Sigfrid Edström, le président suédois de la Fédération Internationale d’Athlétisme Amateur (I.A.A.F.), qui y voit là un putsch contre son institution. Finalement Alice Milliat accepte de renoncer à l’adjectif « olympique », mais elle maintient la compétition qui est désormais appelée les Jeux Mondiaux Féminins.
À Paris, les Suissesses sont nettement moins nombreuses qu’aux Jeux Athlétiques Internationaux Féminins de Monte-Carlo, puisque cinq athlètes seulement représentent les couleurs de notre pays. Elles défilent pourtant fièrement devant les 20000 spectateurs qui se sont empressés de voir ce que toutes ces femmes avaient à leur proposer durant cette journée de compétition.
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Les cinq Suissesses sélectionnées pour les Jeux Mondiaux Féminins à Paris
À vrai dire, le public en a eu pour son argent car on enregistre des performances remarquables de la part des concurrentes venant de France, de Tchécoslovaquie, de Suisse, du Royaume-Uni et des États-Unis, le tout se traduisant par 18 records du monde améliorés en athlétisme, un domaine souvent dominé par les Britanniques. L’exception qui confirme la règle se déroule au lancer du javelot où Francesca Pianzola fait doublement honneur à sa réputation en remportant le titre et en l’agrémentant d’un nouveau record du monde avec un total de 43,24 m (21,38 m de la main droite et 21,86 m de la main gauche). Louise Groslimond (Fémina Sport Genève) manque de peu la médaille de bronze, battue pour 22 centimètres par l’Américaine Lucile Godbold. Louise doit pour l’heure se contenter de cette quatrième place avec un total de 39,48 m; mais on a certainement vu naître en elle l’une des futures leaders dans cette spécialité si particulière qu’est le javelot « two-handed ». Suite à cette mémorable journée, une liste officielle des records du monde est publiée lors du premier Congrès qui se déroule à la fin du mois d’août à Genève. Quelques jours plus tard, le 2 septembre également à Genève, la Fédération Suisse des Sports Féminins (F.S.S.F.) est fondée. Il s’agit-là d’un bon coup en avant donné au sport féminin et à l’athlétisme en particulier. La Suisse est dans le bon wagon et grâce à ses lanceuses, elle va pouvoir le rester pendant un certain temps.
L’avènement de Louise Groslimond
La saison 1923 est effectivement une grande année pour les athlètes helvétiques. Lors des IIIe Jeux Athlétiques Internationaux Féminins, qui se déroulent du 2 au 6 avril à Monte-Carlo, le duel que se livrent Francesca Pianzola et Louise Groslimond est de toute beauté car très indécis jusqu’au tout dernier essai et, surtout, au-delà du record du monde. Finalement c’est Louise Groslimond qui remporte le lancer du javelot des deux mains avec le total de 44,94 m, juste devant sa rivale Pianzola, qui a atteint le total de 44,88 m. Deux autres records suisses tombent lors de cette compétition : le poids des deux mains pour une Louise Groslimond de plus en plus forte et qui atteint le total de 15,14 m pour la cinquième place finale, mais aussi – de manière bien plus anecdotique – sur 60 m par Violette Wecker (Urania Genève) en 9″0.
Quatre records du monde, dont un non-homologué et un autre inofficiel
En mai 1923, Francesca Pianzola (photo) se déplace du côté de Baden-Baden en Allemagne pour participer à un événement athlétique mixte. L’union des deux genres dans une même compétition est assez unique et malheureusement les résultats qui sont réalisés par les femmes ne seront tout simplement pas homologués. C’est avec un certain crève-cœur qu’on apprend les performances magnifiques de Francesca Pianzola au javelot des deux mains : avec le total de 52,68 m (25,35 m de la droite et 27,33 m de la gauche), elle aurait pulvérisé le record du monde de près de huit mètres ! Elle se console de savoir, au moment des bilans de fin d’année, que la Fédération Internationale a tout de même validé ses 27,33 m, ce qui représente un nouveau record suisse et la cinquième performance mondiale de l’année.
Dans un autre registre, Adrienne Kaenel (qui est également la secrétaire de la F.S.S.F.) prend part au triple saut d’une réunion qui se déroule le 16 juillet à Genève. Dans une discipline pas encore officielle dans le programme féminin, elle réussit cependant un meilleur saut mesuré à 10,50 m qui représente à ce moment-là la meilleure performance mondiale de tous les temps !
De son côté, Louise Groslimond connaît la journée sportive de sa vie le 13 août 1923 à Anvers. Au stade Olympique, la Genevoise améliore son record du monde du lancer du javelot des deux mains avec le total de 48,64 m (25,89 m de la droite et 22,75 m de la gauche). Elle s’adjuge ensuite le premier record du monde du lancer du disque, également des deux mains, avec le total de 45,32 m.
Avenir incertain
Malheureusement, ces succès sportifs ne reçoivent pas de réponse positive en Suisse, au contraire. Il y a eu prise une position énergique contre l’activité sportive des femmes dans tout le domaine des exercices physiques. En réaction, l’association décide de changer son nom et devient à la fin de l’année 1923 la Fédération Féminine Athlétique Suisse (F.F.A.S.). Elle est composée de sept clubs : cinq de Genève, un de Lausanne et un de Moudon. La Suisse allemande, bien que la plupart des athlètes féminines soient germano-suisses, se tient encore à l’écart. L’Association Suisse de Gymnastique Féminine, qui est dirigée par des hommes, maintient une attitude négative à l’encontre de l’athlétisme féminin et son développement va longtemps s’en ressentir en Suisse. Le retard est tellement important, qu’il sera très difficile à combler. Mais la pire déception en cette fin d’année vient de l’étranger, lorsque le Comité International Olympique s’est une nouvelle fois opposé à la participation des femmes aux Jeux Olympiques de 1924 à Paris. Pour la F.F.A.S., il s’agit-là d’un véritable coup dur car les signaux avaient pourtant montré que leur participation aux Jeux de Paris 1924 était une chose décidée.
PAB
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